La Cour d'appel fédérale vient d'infliger une rebuffade au gouvernement Harper, confirmant le jugement qui l'oblige à demander aux États-Unis le rapatriement du Canadien Omar Khadr, emprisonné à Guantánamo depuis six ans.

Seul Occidental à y être encore détenu, Omar Khadr est né et a passé une partie de son enfance au Canada avant de se joindre à Al-Qaeda à l'invitation de son père. Aujourd'hui âgé de 23 ans, il n'en avait que 15, en juillet 2002, quand il a été arrêté par les États-Unis en Afghanistan. Les États-Unis ont toujours allégué que Khadr avait tué un soldat américain avec une grenade, mais aucun procès n'a encore été tenu à ce sujet.

Le gouvernement Harper plaidait que les tribunaux n'avaient pas à se mettre le nez dans les questions de rapatriements de Canadiens détenus à l'étranger et qu'il revenait au gouvernement d'en décider.

La Cour d'appel fédérale note d'abord que son jugement ne porte aucunement sur cette question de compétence. La Cour s'est plutôt limitée à déterminer si le droit constitutionnel de M. Khadr «à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne» a été violé quand le fruit des interviews de M. Khadr avec les services secrets canadiens et avec le ministère des Affaires étrangères, en 2003 et en 2004, a été rendu aux Américains. Cela est arrivé, peut-on lire dans le jugement, «alors que les autorités canadiennes savaient que M. Khadr était une personne mineure emprisonnée, privée d'un accès consulaire, privée d'avocats et privée de contacts avec sa famille, et qui avait été soumise à des techniques de privation de sommeil afin de l'inciter à parler».

Deux juges sur trois concluent que les droits constitutionnels d'Omar Khadr ont effectivement été violés. «Les autorités canadiennes ont non seulement participé à un processus qui ne se conformait pas aux normes internationales en droits de la personne, mais elles l'ont fait en toute connaissance de cause», peut-on notamment lire dans ce jugement qui confirme que le Canada doit demander le rapatriement de son citoyen.

En réponse au jugement de première instance de la Cour fédérale qui ordonnait déjà la demande de rapatriement d'Omar Khadr, Ottawa arguait «qu'il n'y (avait) qu'une chance sur un million » que les États-Unis consentent à cette demande.

«Le fait que le Canada n'ait pas de pouvoir sur la réponse donnée par les États-Unis ne signifie pas qu'il soit inapproprié que cette demande (de rapatriement) soit présentée», réplique à cela la Cour d'appel fédérale.

Le gouvernement a toujours le loisir, maintenant, de demander à la Cour suprême de se pencher sur ce dossier.



L'opinion dissidente


Les commentaires du juge dissident, Marc Nadon, démontrent bien que les discussions ont été vives à la Cour d'appel fédérale. Le juge Marc Nadon commence par dire qu'il est «loin d'être convaincu que le Canada a le devoir de protéger M. Khadr». Contrairement au jugement majoritaire, le juge Nadon estime par ailleurs que «le Canada a pris tous les moyens nécessaires à sa disposition pour protéger Omar Khadr».

«Le Canada n'a pas participé à son arrestation, à son transfert ou à sa détention et en aucun moment il n'a été consulté par l'armée ou par le gouvernement américain», écrit-il.

Si ce n'est de ces interviews rendues aux Américains, «je ne vois pas en quoi la conduite du Canada est répréhensible», dit encore le juge Nadon.



Réactions


Interrogé vendredi, le premier ministre Stephen Harper a réservé ses commentaires, le temps que le jugement soit analysé. Il a simplement rappelé que les Canadiens, lorsqu'ils se trouvent à l'étranger, «ne sont plus sous la protection de leur gouvernement».

«Trois cours ont jusqu'à maintenant condamné la conduite du Canada et des États-Unis. Quand donc ce gouvernement va-t-il décider de respecter la loi et de se lever pour respecter les droits de ses citoyens?» a pour sa part demandé l'Albertain Dennis Edney, l'avocat d'Omar Khadr.

Le député libéral Irwin Cotler, qui est souvent monté au front pour des questions de droits de la personne, a déclaré que «depuis le début, le rapatriement d'Omar Khadr aurait été la juste et bonne décision. Après la promesse du président Barack Obama de fermer la prison de Guantánamo, il est devenu clair que, sur le plan politique, cette décision était la meilleure. Aujourd'hui, la Cour d'appel fédérale a confirmé que notre Constitution exige le rapatriement de M. Khadr».

L'organisation internationale Human Rights Watch a salué la décision de la Cour d'appel fédérale par l'entremise de sa porte-parole, Stacy Sullivan. «Il reviendra ultimement aux Canadiens de décider si des accusations criminelles doivent être déposées contre Omar Khadr, mais quand il s'agira de le déterminer, les Canadiens seraient bien avisés de prendre en considération qu'il est ici question d'un homme qui a passé le tiers de sa vie en prison, dans des conditions inacceptables, souvent en confinement solitaire.»