Les forces alliées en Afghanistan viennent de traverser le mois le plus sanglant depuis le début de leur mission, et l'escalade de violence continue. L'armée canadienne a confirmé hier que deux soldats de la base de Valcartier sont morts. Et les analystes militaires croient que les prochaines semaines seront tout aussi meurtrières, sinon plus encore.

Le caporal Christian Bobbitt, 23 ans, a été fauché samedi avec un collègue par une bombe artisanale. Leur mort porte à sept le nombre de soldats canadiens tués depuis le début du mois de juillet.

Mathieu Allard, basé à la garnison Valcartier, près de Québec, a été identifié lundi comme étant l'autre militaire canadien tué par un engin explosif, samedi, en Afghanistan.Le soldat du génie de 22 ans a péri en même temps que le caporal Christian Bobbitt, âgé de 23 ans. Les Forces armées canadiennes ont mis plus de temps à révéler son identité car sa famille devait d'abord être avisée de la tragédie survenue dans le district de Zhari, à l'ouest de Kandahar. Au total, en juillet, les forces de la coalition ont perdu de 74 militaires en sol afghan. C'est le plus grand nombre de victimes en un mois depuis le déploiement des forces étrangères en 2001.

«Je ne pense pas qu'on ait atteint le point le plus critique, estime Michel Drapeau, colonel à la retraite et avocat. Ça pourrait arriver ce mois-ci ou le mois prochain, mais les pertes vont aller en s'accentuant.»

Le mois d'août n'a que deux jours et neuf soldats alliés sont morts.

Les morts et les blessés se multiplient depuis que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont lancé une vaste offensive dans le Helmand, au sud du pays. L'opération vise une province considérée comme un fief des talibans et un centre du commerce de l'opium.

Les États-Unis ont doublé leurs effectifs dans le pays depuis l'élection de Barack Obama, qui a promis de faire du conflit «sa» guerre. On compte maintenant près de 100 000 soldats de l'OTAN en Afghanistan, dont 70 000 Américains et 2800 Canadiens.

En poste depuis le mois de mai, le nouveau dirigeant des forces américaines en Afghanistan, le général Stanley McChrystal, a imposé un important changement de cap. Il veut que ses soldats se mêlent davantage à la population locale, qu'ils attaquent les insurgés de front et réduisent le recours aux frappes aériennes, qui ont fait des centaines de victimes civiles par le passé.

Cette nouvelle approche, qui ressemble à celle des Canadiens à Kandahar, expose les troupes à davantage de risques, disent toutefois les analystes. Mais, selon Michel Drapeau, il n'y a pas d'autre moyen pour venir à bout des talibans.

«Si l'on veut diminuer leur nombre et diminuer leur capacité tactique, c'est la seule façon de s'y prendre, tranche-t-il. C'est pour ça qu'on est là: on n'a pas envoyé des Casques bleus. On a envoyé des troupes pour combattre les insurgés.»

Selon Rémi Landry, analyste militaire rattaché à l'Université de Montréal, le regain de violence est aussi lié aux élections présidentielles prévues le 20 août.

«C'est à l'avantage des talibans de chercher par tous les moyens possibles à déstabiliser le processus électoral, ne serait-ce que pour chercher à discréditer son résultat en bout de piste», affirme-t-il.

Des fuites dans les médias portent à croire que les États-Unis sont sur le point d'envoyer jusqu'à 20 000 soldats supplémentaires pour contenir l'insurrection, une version afghane du surge lancé pour imposer la paix en Irak.

Cette stratégie sera-t-elle payante? En tout cas, pas pour la cohésion entre les alliés, estime M. Landry. Plusieurs pays européens hésitent déjà à engager leurs troupes dans les zones les plus violentes. Et l'ajout massif de troupes américaines contribuera à créer une alliance « à géométrie variable».

«Le danger que je vois, c'est que ça va affaiblir à moyen et à long terme la coalition de l'OTAN, dit-il. Les gens veulent que les Américains viennent, mais ils ne veulent pas qu'ils prennent toute la place.»

Un échec pour le Canada?

La mission afghane sème déjà la controverse en Grande-Bretagne. Un comité parlementaire a affirmé la semaine dernière que le déploiement des troupes avait été «miné par une planification irréaliste aux échelons supérieurs, une mauvaise coordination et, surtout, un manque de directive claire aux militaires».

Et tout indique qu'un autre débat déchirant se trame à l'OTAN alors que le Canada s'apprête à quitter Kandahar en juillet 2011. Ottawa s'est engagé à retirer ses troupes à cette date, et les alliés ne se pressent pas aux portes pour les remplacer.

Le brigadier-général Jonathan Vance, qui dirige les forces canadiennes en Afghanistan, a d'ailleurs affirmé au Devoir que les forces militaires et policières afghanes ne seront pas prêtes à prendre le relais au départ du Canada. C'était pourtant l'un des principaux objectifs du gouvernement Harper.

Mission impossible, l'Afghanistan? Rémi Landry parle plutôt d'une «année de transition». Il estime qu'il faut attendre encore quelques mois avant de savoir si la nouvelle stratégie alliée porte ses fruits.

«On sera mieux en mesure de voir ce qui se passe à partir de la fin 2009 ou du début 2010», dit-il.

Michel Drapeau craint pour sa part que la flambée de violence mine le moral des soldats canadiens.

«C'est une arme sournoise contre laquelle il n'y a aucune défense, explique-t-il. Les jeunes sont là, ils vont reprendre le combat demain matin en espérant que la chance leur sourira. Dans leur esprit, l'appui à la mission va s'effriter au fur et à mesure que la fatalité frappe. C'est ça qui nous guette dans les mois qui viennent.»