On les voit partout ces jours-ci au centre-ville de Montréal. Jeunes et moins jeunes. Débraillés. Sans-abri d'un été, ils quêtent, brandissent leur raclette aux intersections des rues, boivent sur les trottoirs et campent n'importe où, enroulés dans un duvet à l'ombre d'un mur de béton.

On les appelle les crevettes. Ce sont souvent des jeunes qui débarquent en ville. Montréal est si agréable, l'été, quand il fait beau et qu'il y a de la musique partout...

 

Considérés par plusieurs Montréalais comme un véritable fléau urbain, ces jeunes ne doivent pas être confondus avec les véritables sans-abri, prévient le maire de l'arrondissement de Ville-Marie, Benoit Labonté.

«Attention, il y a les vrais sans-abri, et il y a des programmes et des ressources pour leur venir en aide. Par ailleurs, il y a le phénomène estival, appelons-les par leur nom, des crevettes, dit M. Labonté. Ces gens-là ne sont pas des itinérants. Ce sont des fêtards, généralement de l'extérieur, qui viennent solliciter nos espaces publics. Il est là, le vrai problème, et il est difficile à traiter.»

La Ville a du mal à circonscrire ce phénomène malgré les contraventions données à la moindre infraction. L'an dernier, un total de 229 constats ont été remis à des personnes qui avaient sollicité un automobiliste, notamment aux feux de circulation. En comptant ceux donnés à des individus qui ont fait de la sollicitation sur la place publique, on arrive à 317 constats.

Durant l'été 2007, soit du 1er mai au 30 septembre 2007, le Service de police de la Ville de Montréal a remis un total de 663 constats d'infraction à des sans-abri qui gisaient ivres ou flânaient sans raison dans un parc après minuit (ce qui est interdit).

Le SPVM ne nous a pas donné de chiffres pour l'été 2008, mais pour toute l'année 2008: le nombre a atteint 886 en 12 mois. Peut-on parler d'une augmentation? Le commandant du poste de quartier 21, Alain Simoneau, pense que non. «Les gens de l'extérieur, on n'en voit pas plus, dit-il. Par contre, on voit de plus en plus de gens de Montréal. Des jeunes de la rue, il y en a autant, bon an mal an. Ils sont peut-être plus dérangeants à cause de la rue piétonnière.»

M. Simoneau dit qu'il y a des plaintes de commerçants, mais «pas plus qu'avant.». M. Labonté rappelle que son arrondissement a pris des mesures dans le passé. On a fermé les parcs après minuit il y a trois ans. Puis, on a interdit les chiens au parc Émilie-Gamelin et au square Viger. Mais on ne peut pas faire plus, dit Benoit Labonté, car il faut respecter la charte des droits et libertés. Pas question de procéder comme à New York, où on a déclaré persona non grata tous les marginaux qui quêtaient ou qui déshonoraient le paysage urbain et qui faisaient fuir les touristes.

M. Labonté pense toutefois qu'on doit aller plus loin mais que c'est du ressort de la ville centre, pas de l'arrondissement. «Il y a un problème de ressources budgétaires et humaines, dit-il. La Ville centre ne reconnaît pas ce problème. La présence policière est insuffisante. Il y a une fermeture d'esprit. L'arrondissement ne peut pas ajouter de ressources. Dans ce dossier, il y a des élans de partisanerie qui ne devraient pas être.»

Quand La Presse a demandé au commandant Simoneau s'il avait assez de ressources pour s'occuper de ce problème, il a répondu: «Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Je travaille avec les ressources dont je dispose. C'est au corporatif qu'il faut poser la question.»

Le «corporatif «, c'est l'administration du maire Gérald Tremblay. Le responsable de la sécurité publique, Claude Dauphin, dit que les initiatives de Ville-Marie «ont déplacé le problème dans les autres arrondissements».

«L'été, c'est le fun à Montréal: il y a de l'action, de belles femmes, de beaux hommes. Il y a aussi des jeunes de la rue. Il faut vivre avec ça. Peut-être que certaines personnes le voient comme un problème, mais il ne faut pas exagérer. Personne ne nous a demandé de ressources supplémentaires pour ça. Les travailleurs de rue font leur travail. Moi, je ne le vois pas comme un problème.»

M. Dauphin dit que la Ville a travaillé avec Québec pour essayer de trouver des solutions, notamment en créant un tribunal en santé mentale pour les sans-abri qui en ont besoin. Mais cela ne s'applique pas à tous les jeunes de la rue. «Je ne dis pas que c'est parfait mais il faut travailler avec nos partenaires et trouver d'autres solutions», dit-il.

Pour joindre notre journaliste: eric.clement@lapresse.ca

 

Vous avez dit crevettes?

Pourquoi nomme-t-on «crevettes» les jeunes qui choisissent de vivre dans les rues ou les parcs de la métropole en période estivale? Personne ne saurait vraiment le dire. Mais dans le milieu, ce terme a été adopté pour désigner des jeunes, souvent des mineurs, provenant parfois de milieux aisés. Venus chercher «l'expérience» de la rue, ils adoptent un style vestimentaire marginal. Certains lavent des pare-brise, d'autres quémandent pour vivre. Lorsque les premiers signes de la belle saison se font voir, ils convergent au centre-ville. Si certains sont des régions du Québec ou de la métropole, d'autres viennent d'aussi loin que Vancouver, Halifax, Toronto ou les États-Unis.