L'élection jeudi du grand chef Shawn Alteo à la tête de l'Assemblée des Premières Nations pourrait marquer un tournant dans les relations entre les Autochtones du Québec et les gouvernements fédéral et provincial, ont souligné plusieurs observateurs joints par La Presse hier.

«Le ton n'était pas assez haut au temps de Phil Fontaine, a affirmé Ghislain Picard, chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. M. Alteo dit qu'il veut plus d'action.»

 

Pour la première fois depuis 30 ans, le grand chef des 700 000 Autochtones du pays vient d'une nation qui n'a jamais signé de traité et qui, par conséquent, appuie ses revendications sur ses droits ancestraux. Ce qui est le cas de la plupart des nations autochtones du Québec.

«Il y a un clivage historique entre les nations qui ont signé un traité et celles qui sont sans traité, dit M. Picard. M. Alteo va avoir une très bonne lecture de notre situation et des enjeux au Québec. Il va condamner l'attitude fédérale à l'égard des droits ancestraux. Alors que traditionnellement, l'APN a voulu tout faire conjointement avec le gouvernement fédéral, ce qui a donné des résultats très minces.»

Shawn Alteo, 42 ans, est le chef héréditaire de la nation Ahousaht, au nord de Tofino, dans l'île de Vancouver. Il a fait sa marque à titre de chef régional pour la Colombie-Britannique, affirme Me Renée Dupuis, spécialiste de la question autochtone.

«Plusieurs organismes se font concurrence pour représenter les Autochtones dans cette province, dit-elle. Il avait réussi à s'imposer. Il a été aussi présent sur la scène médiatique à la suite d'un jugement de la Cour suprême sur les droits de pêche dans le Pacifique. Il a répliqué au premier ministre Stephen Harper, qui estimait que ce jugement était raciste.»

M. Alteo s'est aussi fait connaître quand il a pris la défense de Luna, un épaulard qui fréquentait un port de pêche de la côte Pacifique et que les autorités voulaient déplacer parce qu'il s'approchait trop des bateaux. Les Autochtones affirmaient que Luna était une réincarnation d'un de leurs anciens chefs. Luna est finalement mort en 2006 après une collision avec un remorqueur.

Le chef Gilbert Whiteduck de la communauté de Kitigan Zibi, en Outaouais, se réjouit de l'élection de M. Alteo, devant son adversaire le chef Perry Bellegarde, de la Saskatchewan. L'élection qui se déroulait à Calgary s'est décidée au huitième tour, le vainqueur devant obtenir 60% des suffrages.

«C'est une personne qui s'exprime très bien, qui est bien éduquée, et pour qui les traditions sont très importantes, dit M. Whiteduck. Au Québec, on a revendiqué très fermement nos droits ancestraux. Maintenant, il faut de l'action devant les tribunaux et sur le terrain. Et M. Alteo est un homme d'action. Il nous a dit qu'il ne resterait pas à Ottawa et qu'il viendrait sur place pour donner des messages et nous appuyer. Il dit: Our time is now. Et c'est vrai, quand on regarde nos jeunes, nos populations, on n'a plus le temps d'attendre. J'ose espérer que le Canada ne peut plus attendre non plus. Il faut provoquer le dialogue.»

«Shawn Alteo est un jeune qui est formé à une nouvelle école, dit Éric Cardinal, un autre spécialiste de la question. C'est la première fois qu'un chef national est assez jeune pour s'être imprégné pendant ses études de la question des droits ancestraux. Et il a réussi à faire prendre un virage à 180 degrés au gouvernement de la Colombie-Britannique sur la reconnaissance des droits des Premières Nations.»

«Pour les Autochtones du Québec, où il n'y a jamais eu de traité historique, c'est une très bonne nouvelle, poursuit M. Cardinal. Peut-être qu'il va pouvoir donner un coup de main aux Premières Nations du Québec pour relancer les relations avec le gouvernement provincial. C'est ce qu'il a réussi en Colombie-Britannique.»