Alors que les élus présents à la conférence de presse ont unanimement salué le rapport Gagné sur l'éthique en politique municipale, des avocats spécialisés dans le domaine sont nettement moins enthousiastes. Les codes d'éthique, ça vaut ce que ça vaut, c'est-à-dire pas grand-chose puisque ça n'a pas de dents, disent-ils.

«Il y a de ces villes totalement corrompues au possible qui disposent de codes d'éthique absolument magistraux», a lancé en entrevue Marc-André Lechasseur, avocat spécialisé en droit municipal.

 

Ce ne sont pas les codes d'éthique - qui sont ni plus ni moins que des codes d'honneur - qui peuvent épingler des fraudeurs, mais bien les lois et les tribunaux qui les mettent en application, poursuit Me Lechasseur. L'ennui, dit-il, c'est que «le procureur général (le gouvernement du Québec) est très frileux et hésite beaucoup à prendre des procédures contre des élus municipaux. Il n'y en a presque pas».

Même si les recommandations du rapport Gagné étaient adoptées intégralement - ce qui étonnerait Me Lechasseur, qui prédit plutôt un tablettage - elles ne faciliteraient pas pour autant la destitution d'un élu. «En vertu de la Constitution, les seules à pouvoir destituer un élu, ce sont les cours supérieures», précise-t-il.

Et la Commission municipale du Québec, à laquelle le rapport confie un pouvoir de révision de décisions d'un conseil municipal, «aura tout au plus un pouvoir de blâmer».

Me Lechasseur regrette au surplus que le rapport ne s'attaque pas aux entorses éthiques les plus répandues dans les villes, à savoir «les appels d'offres faits sur mesure pour accommoder un promoteur particulier, les critères qualitatifs dans l'attribution de contrats, les grilles d'évaluation subjectives, etc. Ça, ce sont des problèmes d'éthique très concrets qui ne sont pas abordés dans le rapport».

Me Armand Poupart, lui aussi spécialisé en droit municipal, n'avait pas encore pu éplucher le rapport Gagné hier, mais sur le fond, il doute fortement «qu'un juge puisse ultimement destituer quelqu'un parce qu'il n'aurait pas respecté un code d'éthique».

Il n'est pas plus impressionné par ce pouvoir octroyé au Commissaire à l'éthique de recommander «des procédures judiciaires visant l'annulation d'un contrat». «Le promoteur visé se revira de bord et poursuivra tout simplement la ville pour annulation de contrat», fait observer Me Poupart.

Me Poupart a lancé en conclusion la même remarque que Me Lechasseur: «Les codes d'éthique, ça sert surtout aux adversaires politiques.»

En conférence de presse hier, Robert Coulombe, président de l'Union des municipalités du Québec, s'est dit heureux que le rapport «reconnaisse d'emblée le bon fonctionnement des administrations locales actuelles». En marge de la conférence de presse, M. Coulombe a dit que les lois actuelles ne comportaient pas de trous. Alors à quoi bon ce rapport? Pour sauver les apparences, a demandé un journaliste? Non, a-t-il dit. «Le code de déontologie va faire en sorte de rassurer les citoyens, leur montrer que les élus sont bien encadrés.»

Pour sa part, le maire de Laval, Gilles Vaillancourt, a salué le rapport Gagné, disant qu'il permettra à tous les élus d'avoir des réponses plus claires sur ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire. Sur le fond, a ajouté M. Vaillancourt, il reste que «la plus grande sanction de l'éthique, à travers le monde, ça a toujours été la sanction politique». Ne pas être réélu, quoi.

Pour le reste, a-t-il ajouté, «l'apparence de conflit d'intérêts, il n'y a pas un juge ne va retenir ça comme étant un crime. Pour être puni légalement, il faut avoir enfreint une loi.»

Par voie de communiqué, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a quant à lui remercié «le gouvernement du Québec d'avoir fait diligence pour traiter cette importante question. (...) Je suis persuadé que tous les élus municipaux du Québec seront désormais mieux outillés pour redonner confiance aux citoyens envers leurs représentants locaux et leur administration municipale».

Enfin, Louise Harel, qui sera candidate à la mairie de Montréal, se réjouit de ce que le rapport Gagné renvoie la balle aux municipalités alors que «le maire Tremblay avait refilé toute la question à Québec».

Du rapport Gagné, Mme Harel a notamment retenu les règles d'après-mandat, qui interdiraient pendant une période de temps à un élu d'occuper un poste au sein d'une entreprise avec laquelle il a entretenu un rapport direct.