Tant de scandales ont secoué le monde municipal, que Québec a commandé en mai dernier un rapport sur l'éthique dans ce milieu. Le document, déposé hier, contient de nombreuses recommandations qui clarifient ce que doit ou ne doit pas faire un élu, un fonctionnaire ou une entreprise. Les experts ont toutefois des doutes: l'éthique sert peu si il n'y a pas de bâton pour la faire respecter.

Le nouveau ministre des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire, Laurent Lessard, s'est fixé pour objectif qu'une loi soit adoptée en 2010 afin d'encadrer de nouvelles règles sur les questions d'éthique en milieu municipal et de punir toute corruption impliquant, par exemple, un élu ou un fonctionnaire municipal et une entreprise privée.

 

Le ministre a accueilli «avec intérêt» le rapport présenté hier par le groupe de travail sur l'éthique en milieu municipal, dirigé par Florent Gagné, un ancien directeur de la Sûreté du Québec. Ce rapport avait été commandé en mai par l'ex-ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau, à la suite de la série de scandales qui ont éclaboussé l'administration du maire Gérald Tremblay depuis un an.

Mme Normandeau souhaitait qu'on définisse un mécanisme de traitement des comportements dérogatoires de la part d'élus et de fonctionnaires municipaux. Même s'il établit que la société québécoise ne vit pas une situation de corruption généralisée, le rapport fait 19 recommandations au ministre Lessard pour resserrer le lien de confiance entre citoyens et élus.

La première recommandation, la plus attendue, est celle qui obligerait chaque conseil municipal québécois à adopter un code d'éthique et de déontologie applicable aux élus municipaux. Ces élus devraient aussi s'engager à le respecter à l'occasion d'une cérémonie d'assermentation. En cas de défaut, ils s'exposeraient à une série de sanctions allant du simple blâme à la déclaration d'inhabilité, en passant par des remboursements monétaires et des poursuites judiciaires.

La base d'un code d'éthique municipal sera concoctée par des spécialistes à Québec. Les villes garderont la liberté de l'adapter à leur réalité locale.

Le rapport Gagné recommande également que l'élu continue de faire une déclaration d'intérêt pécuniaire, mais qu'il indique aussi ses intérêts directs et indirects à caractère financier, professionnel, moral, voire psychologique. M. Gagné recommande aussi que les élus suivent un cours en éthique au plus tard 120 jours après leur élection.

Pas de contrats pendant deux ans

La recommandation la plus remarquée, hier, compte tenu des scandales montréalais, est celle qui propose que les conseils municipaux prévoient dans leurs contrats une clause par laquelle les entreprises qui font affaire avec la municipalité s'engagent à respecter son code d'éthique et n'entreprennent aucune action allant à son encontre.

En cas d'infraction, les entreprises s'exposeraient à une sanction pouvant aller jusqu'à l'impossibilité d'obtenir un contrat avec la municipalité pour un maximum de deux ans. M. Gagné pense que si cette clause est reprise dans une loi, elle aura un effet dissuasif, par exemple sur les entreprises qui voudraient corrompre des fonctionnaires ou des élus.

«Pas de contrats pendant deux ans, c'est beaucoup d'argent», dit Florent Gagné, qui appelle cette recommandation la clause Sauriol, du nom du président directeur-général de la firme Dessau. Le nom de cette firme a été associé à plusieurs affaires sur lesquelles la police ou le Vérificateur général de Montréal enquêtent actuellement: le financement du centre communautaire intergénérationnel d'Outremont que Dessau a construit quand Stéphane Harbour était maire de cet arrondissement, et le contrat octroyé par Montréal au consortium GÉNIeau (dont est membre Dessau) pour la fourniture et l'exploitation de compteurs d'eau.

M. Gagné a affirmé hier que le PDG de Dessau avait dit souhaiter que des règles d'éthique soient clairement édictées. Son souhait sera réalisé si Québec va de l'avant avec cette clause dont la substance, a-t-il dit, existe déjà au niveau provincial.

M. Gagné a été interrogé sur le cas de l'ancien président du comité exécutif de Montréal, Frank Zampino, parti à deux reprises en vacances sur le bateau du promoteur Tony Accurso alors que M. Zampino était dans l'exercice de ses fonctions et que les entreprises de M. Accurso faisaient des affaires avec la Ville de Montréal. M. Gagné n'a pas voulu s'immiscer dans cette affaire qui fait l'objet d'une enquête, mais a dit que ses recommandations pourraient s'appliquer à ce genre de cas.

Le groupe recommande aussi qu'après son mandat, l'élu respecte certaines règles, notamment de confidentialité, mais aussi d'appartenance à une firme. On ne pourrait plus aussi facilement qu'aujourd'hui aller d'un poste électif ou d'un poste de fonctionnaire à un poste de cadre dans une entreprise avec laquelle on a passé des contrats. Comme cela a été le cas pour Frank Zampino qui, quelques mois après son départ de la vie politique, a obtenu un poste de cadre chez Dessau.

Le code d'éthique pourrait fixer à deux ans la période durant laquelle les élus ne pourront être embauchés par une entreprise qui a eu des contrats avec la municipalité.

Par ailleurs, tous les conseils municipaux devraient nommer un répondant à l'éthique pour aider les élus et un commissaire à l'éthique responsable d'entendre les plaintes (voir autre texte).

M. Gagné veut aussi qu'à chaque élection, le code d'éthique soit étudié et adopté de nouveau par chaque ville afin de prendre acte des expériences vécues. Il souhaite aussi qu'un code soit défini pour tous les employés municipaux du Québec et que la Commission municipale du Québec révise des cas quand un citoyen estime que sa ville a mal étudié sa plainte.

Des balises

M. Gagné estime que les codes d'éthique et de déontologie «n'enrayeront pas la corruption ni ne rendront vertueux», mais fixeront des balises pour l'exercice de la fonction d'élu. «Ces recommandations sont réalistes, ne coûteront pas une fortune et ne sont pas légalement compliquées, a dit M. Gagné. Le système permettra aux élus de prendre de bonnes décisions et de faire en sorte qu'il y ait moins de cas dans le futur.»

Le ministre Lessard a dit qu'un comité ministériel va se pencher sur les recommandations du rapport Gagné pour mettre en place une politique «le plus rapidement possible». L'objectif est d'adopter une loi en 2010 mais, dès l'automne, un cours d'éthique et de déontologie pour former les élus sera défini et appliqué pour la première fois auprès des conseillers municipaux qui seront élus le 1er novembre prochain.