La fermeture prolongée du réacteur de Chalk River constitue un casse-tête considérable pour les hôpitaux du pays, mais les médecins croient être en mesure de composer avec cette situation difficile pour le moment.

Toutefois, si le réacteur ne redémarre pas d'ici la fin de l'année, comme les dirigeants de Chalk River l'ont indiqué hier, cette situation difficile pourrait se transformer en catastrophe pour bien des patients, a indiqué hier le Dr Daniel Picard, secrétaire trésorier de l'Association des médecins spécialistes en médecine nucléaire du Québec.

 

M. Picard a ainsi réagi hier à l'annonce du président d'Énergie atomique du Canada (EACL), Hugh MacDiarmid, selon laquelle les travaux de réparation du réacteur de Chalk River sont plus importants que prévu et prendront donc plus de temps.

Situé non loin d'Ottawa, le réacteur de Chalk River, vieux de 52 ans, produit environ le tiers de l'approvisionnement mondial d'isotopes médicaux, qui sont nécessaires pour le diagnostic et le traitement du cancer. La centrale produisait en outre environ 80% des isotopes nécessaires pour traiter les Canadiens.

Mais le réacteur a dû cesser ses activités en mai en raison d'une importante fuite d'eau lourde. Et tout indique qu'il demeurera fermé au moins jusqu'en octobre, et peut-être même jusqu'à la fin de l'année. Au départ, les dirigeants d'EACL estimaient qu'il serait possible de le redémarrer en août.

«Cette annonce ne me surprend nullement. Je n'ai jamais vu une centrale nucléaire se faire réparer en un ou trois mois. C'était donc quelque chose de prévisible. Mais cette fermeture prolongée ne change rien à la situation actuelle. On est déjà en pénurie. On est en rationnement de radio-isotopes pour limiter les conséquences sur nos patients, ce que l'on réussit relativement bien jusqu'ici», a indiqué le Dr Picard.

Au bout du rouleau

Il a ajouté que les médecins ont modifié leurs horaires pour maximiser l'utilisation des isotopes disponibles, lesquels ont une durée de vie limitée. «Nous travaillons les fins de semaine et le soir pour les mêmes raisons avec les doses disponibles durant la journée», a-t-il dit.

Mais si Chalk River demeure fermé en 2010, la situation sera différente. «Nous sommes en mesure de composer avec la situation actuellement. Mais il faut que Chalk River rouvre au début de l'an prochain», a-t-il dit.

Le président de la section canadienne de l'Association de médecine nucléaire, le Dr Jean-Luc Urbain, se montre plus critique, qualifiant la situation de «désastre national et international». «Nous avons le tiers de notre approvisionnement habituel en technétium pour nous occuper de nos patients», a-t-il dit.

Depuis la fermeture du réacteur, les hôpitaux du pays sont confrontés à une pénurie d'isotopes, forçant les médecins à reporter des traitements. Le gouvernement fédéral travaille depuis des semaines à trouver de nouvelles sources d'approvisionnement, mais la situation demeure difficile.

Depuis quelques semaines, la centrale néerlandaise de Petten a augmenté sa production de 50% pour combler une partie de la demande. Mais le réacteur est aussi très vieux et il devra être fermé du 18 juillet au 18 août pour des travaux d'entretien. À l'heure actuelle, les divers réacteurs dans le monde répondent à environ 70% de la demande mondiale d'isotopes.

Dans une déclaration commune publiée hier, la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, et la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, ont dit partager l'inquiétude des Canadiens au sujet de la pénurie d'isotopes provoquée par la fermeture de Chalk River.

«La santé et le bien-être des Canadiens sont la priorité absolue du gouvernement du Canada et nous comprenons que l'annonce faite par EACL - que le temps d'arrêt sera prolongé - est une source d'inquiétude pour les Canadiens. Nous sommes aussi très inquiètes et nous comprenons que des familles canadiennes seront sérieusement affectées par cette annonce», ont affirmé les ministres.

«Nous nous attendons à une période de pénurie plus critique au cours du mois d'août. Pour cette raison, il continuera d'être essentiel que les fournisseurs de soins de santé gèrent de façon attentive l'approvisionnement disponible d'isotopes et qu'on puisse trouver des solutions de rechange», ont-elles ajouté.

En conférence de presse à Toronto, le président d'EACL, Hugh MacDiarmid, s'est défendu d'avoir induit la population en erreur lorsqu'il a indiqué au printemps que le réacteur pourrait reprendre ses activités en août.

Il a soutenu que l'inspection du réacteur a démontré que les travaux nécessaires étaient plus importants que prévu. D'où la décision de prolonger la fermeture pour les prochains mois. «L'inspection a été un voyage de découverte, comme vous pouvez l'imaginer», a indiqué le président.

Cela dit, il a certifié que le réacteur pourra être redémarré ultérieurement et reprendre la production d'isotopes.

Les travaux de réparation sont fort complexes. «C'est comme si vous essayez de faire une vidange d'huile sur votre voiture à partir de votre salon», a imagé le responsable des travaux, David Cox.