La sortie de l'auteur français Jean-Marie Le Clézio contre le projet hydroélectrique de la Romaine reçoit des accueils contradictoires chez les Innus, ceux-là mêmes que le Prix Nobel de littérature souhaitait défendre en dénonçant le chantier de 6,5 milliards.

Le chef de la communauté de Nutashkuan, François Bellefleur, estime que l'auteur devrait faire plus de recherches avant de présenter la rivière Romaine comme «le domaine où nomadisent les Innus». Ce partisan du mégaprojet d'Hydro-Québec estime que la réalité des autochtones n'a rien à voir avec celle que dépeint M. Le Clézio dans les pages du Monde.

 

Dans une lettre ouverte publiée par le prestigieux quotidien français, jeudi, M. Le Clézio dénonce le «monstrueux projet» d'Hydro-Québec. Les barrages «anéantiront la plus grande partie de la rivière» et priveront de son milieu de vie la «tribu indienne» des Innus, écrit-il.

Mais, pour le chef Bellefleur, les problèmes sociaux sont rampants chez les Innus. Pour lui, la construction des barrages et le versement de redevances aux autochtones permettront aux siens de s'extraire de cette situation.

«On est dans un cercle vicieux où des gens sont aux prises avec des problèmes de drogue et d'alcool, a souligné M. Bellefleur. On a besoin de développer notre fierté, on a besoin d'être autonomes, et c'est ce qui nous est offert par le gouvernement.»

La communauté d'un millier d'habitants que dirige M. Bellefleur, située à 400 km à l'est de Sept-Îles, a voté par référendum en faveur de la construction de quatre barrages sur la rivière Romaine. En échange, Hydro-Québec lui versera 43 millions d'ici 2070.

Cet argent permettra aux jeunes de Nutashkuan d'étudier à l'extérieur de la réserve, de décrocher de bons emplois, d'améliorer la qualité de vie de l'ensemble de leurs concitoyens, a souligné François Bellefleur. Des habitants de la communauté pourront aussi travailler sur le vaste chantier.

Mais tous les Innus ne sont pas de cet avis. Le chef de la communauté Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam, Georges-Ernest Grégoire, est parfaitement d'accord avec Jean-Marie Le Clézio.

«La façon dont on vivait avant, elle a été détruite, a fait valoir M. Grégoire. Maintenant, il faut vivre comme tout le monde, comme des Québécois ou des Canadiens. Nous, on n'est pas habitués à cela. S'ils veulent qu'on s'y habitue, qu'ils nous donnent les munitions pour réussir comme tout le monde.»

Sa communauté s'est adressée aux tribunaux, début juin, pour tenter de freiner le projet de la Romaine. Ses dirigeants et Hydro-Québec ont été incapables de s'entendre sur une compensation pour la construction d'une ligne de transport électrique de 500 km sur leurs terres ancestrales. La société d'État offrait 4 millions, et les Innus réclamaient 300 millions.

Charest critiqué

Le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, estime que le texte de Jean-Marie Le Clézio reflète l'histoire récente de la communauté innue, même s'il convient que certains passages peuvent «paraître un peu folkloriques».

Mais M. Picard en a surtout contre la sortie de Jean Charest en réplique à l'auteur. En réponse aux inquiétudes soulevées au sujet des populations autochtones, le premier ministre a brandi une lettre de François Bellefleur, dont la communauté appuie le projet.

Or, dit M. Picard, le premier ministre a omis de mentionner que plusieurs autres communautés innues sont opposées à l'exploitation de la Romaine. «En réagissant comme il l'a fait, en accusant M. Le Clézio de paternalisme, je juge qu'il en fait autant, a-t-il dénoncé. Il essaie de dire que tous les membres de la nation innue se rallient au projet.»