Des centaines de personnes âgées meurent chaque année au Québec parce que la société ne prend pas soin d'elles correctement, affirme le sociologue Louis Plamondon.

Et comme il n'y a aucune mesure de contrôle, cet «âgisme meurtrier» fait possiblement des centaines d'autres victimes, mais personne ne le sait, dénonce le chercheur associé à l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Dans une recherche publiée aujourd'hui dans la revue Vie et vieillissement, M. Plamondon montre que le Québec traite ses aînés avec indifférence.

De 2005 à 2007, le Bureau du coroner de la province a enquêté sur la mort violente de 2370 personnes de plus de 65 ans. M. Plamondon a analysé ces dossiers et a découvert que, dans 33% des cas, l'âgisme a pu contribuer au décès. «Dans ces dossiers, on peut penser que la négligence passive ou active de différents acteurs a causé ces décès, note M. Plamondon. C'est ce que j'entends par âgisme.»

Le chercheur a par exemple répertorié 394 cas de suicide. «On sait que la dépression est sous-traitée chez les aînés. Les personnes âgées se font souvent dire: "C'est normal que vous soyez déprimé, vous êtes vieux!" On peut parler ici de négligence et d'âgisme», commente M. Plamondon. La douleur chronique et la solitude peuvent aussi mener des aînés à se suicider, et M. Plamondon croit que la société doit faire quelque chose pour freiner le phénomène.

«C'est un fort taux de suicide. C'est plus élevé que chez les jeunes et, pourtant, on en entend peu parler. Il faut faire quelque chose», dit la présidente de l'Association québécoise de gérontologie, Catherine Geoffroy.

M. Plamondon a aussi répertorié 101 cas de chutes d'un lit, d'un fauteuil ou d'un escalier chez des aînés qui étaient portés ou soutenus par un tiers. «On parle ici de négligence de membres du personnel dans les lieux de résidence et les hôpitaux, et ce personnel est parfois mal formé», note M. Plamondon.

Ce dernier a aussi enregistré 30 homicides, 91 cas de piétons heurtés par un véhicule à moteur et 22 cas de noyade dans une baignoire ou dans une piscine supervisée. Des expositions soutenues au feu, au froid ou à la fumée ont fait 32 victimes, et 27 autres personnes sont mortes après avoir été intoxiquées ou avoir consommé des médicaments. «Ces morts sont toutes causées par une certaine négligence, soutient M. Plamondon. Dans certains cas, des personnes âgées sont oubliées hors de leur résidence et meurent de froid. Certaines histoires donnent réellement froid dans le dos.»

Déjà troublé par ces premières conclusions, M. Plamondon ajoute que la situation pourrait être bien pire qu'elle n'y paraît. De l'aveu même du Bureau du coroner, une infime partie des décès de personnes âgées font l'objet d'enquêtes au Québec. Dans un colloque sur les abus envers les aînés, en avril dernier, la coroner Catherine Rudel-Tessier a affirmé que plus de 750 décès de personnes âgées font l'objet d'une enquête chaque année mais que de nombreux cas de morts violentes passent inaperçus parce qu'ils ne sont pas dénoncés.

«Seuls les décès signalés au coroner font parfois l'objet d'une enquête. On devrait changer la loi pour avoir un portrait plus juste de la situation et obliger la déclaration de toute mort de personne âgée en centre privé ou public», croit M. Plamondon.

La loi oblige déjà les centres de réadaptation, les centres jeunesse, les garderies et les prisons à déclarer automatiquement tout décès. «On le fait pour les prisonniers et les enfants, mais pas pour les personnes âgées. On devrait répandre cette obligation aux résidences privées et publiques pour aînés», commente M. Plamondon.