Quand des gens lui demandent ce qui lui cause des insomnies, Kevin McCourt répond sans réfléchir: «C'est la sécurité de mon personnel.»

Kevin McCourt dirige la section canadienne de l'organisation humanitaire CARE. «Nous sommes partout où ça va mal», résume-t-il.

Au fil des ans, CARE Canada a perdu des dizaines d'employés. En Somalie, au début des années 90. Au Rwanda, pendant le génocide.

 

Mais depuis quelque temps, la menace a changé de visage. «Il y a 20 ans, les employés risquaient leur vie parce qu'ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Aujourd'hui, ils sont directement ciblés par les belligérants.»

Encore récemment, des employés de CARE Canada ont été menacés en Somalie. L'organisation humanitaire a fini par suspendre plusieurs projets dans ce pays. Elle ne pouvait plus garantir la sécurité de son personnel.

CARE n'est pas la seule. Avec 122 coopérants tués et 62 enlevés, les organisations humanitaires ont payé, en 2008, un lourd tribut à la violence.

C'était de loin la pire année pour les coopérants, affirme le Centre sur la coopération internationale, qui documente le phénomène depuis 13 ans.

En 1998, ce centre de recherche ne recensait que 27 attaques contre des humanitaires. L'an dernier, il y en eu plus de 155. Le risque d'enlèvement a augmenté de 350% depuis trois ans. Et les coopérants risquent désormais davantage de se faire tuer que... les soldats de l'ONU.

De plus en plus, ces attaques visent spécifiquement les organisations internationales et leurs employés étrangers, constate le Centre de coopération internationale. Pourquoi? En partie pour des raisons politiques. Et en partie par appât du gain.

Perte d'immunité

«Autrefois, les véhicules blancs avaient une certaine immunité. Plus maintenant», note Marion Turmine, directrice de projets pour Oxfam-Québec.

Cette immunité a été tellement écorchée que plusieurs ONG ont décidé de repeindre leurs véhicules en rouge ou en vert. Question de passer inaperçues...

Pourquoi donc ceux qui apportent de l'aide aux civils se trouvent-ils, désormais, dans la mire des groupes armés? En partie parce que les organisations humanitaires se livrent de plus en plus à une sorte de mélange de genres, en s'associant de trop près à des forces militaires, déplore Jerry Barr, du Conseil canadien pour la coopération internationale.

Du coup, les travailleurs humanitaires sont identifiés aux armées combattantes, déplore-t-il.

La forme même des conflits a changé, augmentant le risque pour les coopérants, dit Frédéric Sanchez, de la section canadienne de Médecins sans frontières. «Quand j'étais en Bosnie, pendant les guerres des Balkans, c'était plus simple: il y avait deux ou trois armées qui se battaient entre elles, et nous avions des interlocuteurs avec qui négocier», rappelle-t-il.

Aujourd'hui, les factions se multiplient, les conflits se fragmentent: un chef peut bien signer des accords de paix, il n'est pas certain qu'ils seront respectés au prochain poste de contrôle...

»Les yeux de l'Occident»

Au Darfour, la situation s'est détériorée abruptement le jour où la Cour pénale internationale a émis son mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar Béchir. Ce dernier savait bien que les enquêteurs de La Haye s'étaient basés sur des rapports d'ONG qui documentent la situation sur le terrain. Pas étonnant que ces organisations soient désormais perçues comme «les yeux de l'Occident», dit Fabienne Hara, de l'International Crisis Group.

Mais souvent, les agresseurs sont aussi motivés par le simple appât du gain. «Le gouvernement soudanais a expulsé les ONG occidentales pour des raisons politiques. Peut-être vont-elles pouvoir retourner un jour au Darfour. Mais en attendant, qu'est-il arrivé à leur équipement et à leurs ordinateurs? Ils ont été volés, dit Mme Hara.

Résultat combiné de tous ces facteurs de risque: les organisations humanitaires se replient. Ces derniers temps, 12 projets majeurs ont dû être fermés dans six pays où la situation est devenue intenable pour les coopérants. Pour le grand malheur des civils.

 

Dure année pour les coopérants

260 travailleurs humanitaires ont été tués, enlevés ou blessés en 2008.

Incidents violents

> Nombre d'incidents violents en 1998: 27

> Nombre d'incidents violents en 2009: 155

Enlèvements

> Travailleurs humanitaires enlevés en 1998: 18

> Travailleurs humanitaires enlevés en 2008: 62

Assassinats

> Travailleurs humanitaires, locaux et étrangers, tués en 1998: 36

> Travailleurs humanitaires, locaux et étrangers, tués en 2008: 122 (dont 45 en Somalie, 33 en Afghanistan et 19 au Soudan)

Conséquences

> 12 projets humanitaires majeurs ont dû être interrompus dans un total de six pays en raison de l'insécurité

Source: Centre sur la coopération internationale (Center on International Cooperation)