Les omissions de Brian Mulroney lors d'un interrogatoire mené en 1996 ont meublé la première journée de contre-interrogatoire de l'ancien premier ministre devant la commission Oliphant. La question au coeur du duel d'hier : M. Mulroney aurait-il dû révéler, il y a 13 ans, qu'il avait eu des relations commerciales avec Karlheinz Schreiber.

L'avocat principal de la commission Oliphant a laissé entendre hier que Brian Mulroney avait tenté de cacher ses relations commerciales avec Karlheinz Schreiber lors d'un interrogatoire auquel ont procédé les avocats du gouvernement en 1996.

 

Le contre-interrogatoire mené par Me Richard Wolson s'est ouvert hier matin, à la commission Oliphant, sur un air de duel entre le témoin, l'ancien premier ministre du Canada, et ce procureur dont la fermeté a épaté la galerie lors du témoignage de Karlheinz Schreiber, il y a quelques semaines.

Dès le début, les deux hommes ont croisé le fer sur les intentions de Brian Mulroney lors de cet autre interrogatoire, qui a eu lieu dans le cadre de la poursuite en diffamation intentée par Brian Mulroney contre Ottawa, en 1995. M. Mulroney reprochait à la GRC et au ministère de la Justice de l'avoir accusé, dans une lettre envoyée aux autorités suisses, d'avoir tenté de frauder le gouvernement avec la complicité de Karlheinz Schreiber. Le dossier s'est soldé par une entente à l'amiable et le plaignant a obtenu un dédommagement de 2,1 millions.

Me Wolson a commencé par faire admettre à M. Mulroney que cet interrogatoire ne portait pas uniquement sur Airbus, mais également sur Bear Head et sur MBB Helicopters. «Ça pourrait, en effet, être exact, a convenu Brian Mulroney. Mais je mentionnerais en passant que, dans mon esprit, c'était concentré sur Airbus, et je pense aussi dans l'esprit de tous les Canadiens.»

Puis, le procureur et M. Mulroney ont débattu de la question de savoir si, oui ou non, ce dernier avait tenté de cacher le fait qu'il avait reçu, dans les mois précédant l'exercice, 225 000$ en espèces en trois versements dans des hôtels de Montréal et de New York.

À la question de savoir s'il était «resté en contact avec Karlheinz après avoir quitté le poste de premier ministre», M. Mulroney avait alors répondu: «De temps en temps, pas très souvent. Quand il passait par Montréal, il m'appelait. Nous prenions une tasse de café. Je pense, une fois ou deux.»

«La nouvelle, si quelqu'un la rapportait, n'était pas que vous aviez bu une tasse de café avec cet homme, a protesté Me Wolson hier. C'était que vous étiez entré dans une relation commerciale avec lui, où il vous a payé en argent comptant dans une chambre d'hôtel.»

«Vous n'avez donné à la personne qui vous interrogeait qu'une partie de l'histoire, a-t-il ajouté. La partie que vous n'avez pas donnée, c'est quand vous prenez l'argent [...]. Pourquoi pas? Pourquoi n'avez-vous pas donné toute l'histoire?»

Brian Mulroney a donné la même réponse qu'il avait donnée la veille à son avocat. «On ne m'a posé aucune question aussi simple que celle-ci: «Avez-vous eu une relation commerciale quelle qu'elle soit avec M. Schreiber?» La réponse aurait été oui.»

M. Mulroney, lui-même avocat, a fait valoir que, dans le cadre d'un interrogatoire avant défense au Québec, il n'avait pas à divulguer volontairement des informations si on ne lui avait pas posé de questions précises.

«Je pense que vous avez raison, vous n'avez pas à vous lancer dans des discours lors d'interrogatoires», a concédé Richard Wolson.

Le procureur a toutefois ajouté que, «lorsqu'on vous demande: «Est-ce que vous avez gardé contact avec M. Schreiber après avoir quitté le poste de premier ministre?» et que vous [répondez] que vous l'avez vu deux fois pour une tasse de café, et que vous soulignez ce qui est arrivé quand vous avez bu ce café, incluant le fait qu'il vous a dit qu'il a embauché [Marc] Lalonde et qu'il vous dit qu'il pense à intenter des poursuites... Vous devriez être exhaustif et [...] dire: oui, j'ai eu une relation avec lui...»

Mais Brian Mulroney a maintenu sa version des faits. Il a même ajouté que le procureur du gouvernement, l'avocat montréalais Claude-Armand Sheppard, l'interrompait continuellement dans ses réponses. «N'importe qui ayant une quelconque expérience en cour ou dans le système judiciaire et qui lit cette transcription, la première chose par laquelle il sera frappé - et je dis cela en tout respect - est la manière complètement décousue de cet interrogatoire», a-t-il lancé.

La commission d'enquête Oliphant est chargée d'expliquer pourquoi M. Mulroney a reçu des sommes d'argent dans des chambres d'hôtel de Montréal et de New York, dans les mois qui ont suivi son départ du poste de premier ministre. M. Schreiber affirme que c'était pour que M. Mulroney fasse du lobbying au Canada pour le projet Bear Head de la société allemande Thyssen. M. Mulroney prétend qu'il devait plutôt convaincre les dirigeants internationaux de la valeur des véhicules blindés de Thyssen.

Le contre-interrogatoire de M. Mulroney se poursuit aujourd'hui et mardi.