L'explication donnée par Karlheinz Schreiber pour les centaines de milliers de dollars en argent comptant qu'il a versés à Brian Mulroney dans les mois qui ont suivi son départ du gouvernement a été mise à rude épreuve à la commission Oliphant, hier.

L'avocat principal Richard Wolson a poursuivi son interrogatoire serré de l'homme d'affaires, lobbyiste et marchand d'armes en revenant à plusieurs reprises sur le fait qu'il savait que M. Mulroney ne pouvait rien faire en contrepartie de ces paiements. M. Schreiber a convenu hier qu'il avait néanmoins continué à lui remettre entre 225 000$ et 300 000$ sur une période de 16 mois dans trois hôtels de Montréal et de New York, sans jamais lui demander de rendre des comptes, ni de faire quelque geste que ce soit. «Si tout avait joué en votre faveur, vous auriez pu gagner 1,8 milliard de dollars. Et vous n'appelez pas l'homme qui travaille pour vous, que vous payez, pour lui dire: «Brian! Allez! Qu'est-ce qui arrive? Donne-moi quelque chose! Dis-moi ce que tu fais!»» a demandé Me Wolson d'un ton théâtral.

«Il ne pouvait rien faire au niveau fédéral», a convenu M. Schreiber, puisque les libéraux avaient pris le pouvoir.

«Il attendait son moment pour faire quelque chose. Quand vous avez un spectacle, vous avez différents acteurs et ils apparaissent à différents moments dans des rôles différents, M. Wolson.»

Karlheinz Schreiber prétend depuis plusieurs années que l'argent en question provenait d'un compte de banque suisse du nom de Britan, qui avait lui-même été garni par un autre compte, Frankfurt. En 1988, des commissions de 2 millions de dollars avaient été versées dans ce compte Frankfurt par la compagnie Thyssen, en guise de commissions pour la signature d'une entente de principe avec le gouvernement fédéral.

Cette entente, qui ne s'est jamais matérialisée, visait la construction d'une usine de véhicules blindés au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse: le projet Bear Head.

Tant Karlheinz Schreiber que Brian Mulroney affirment que ces 300 000$ (M. Mulroney prétend que c'était plutôt 225 000$) visaient à promouvoir le projet dans l'avenir. Les deux diffèrent toutefois d'opinion sur les services qui devaient être rendus. M. Mulroney dit qu'il était payé pour faire la promotion du véhicule à l'étranger. M. Schreiber le nie, et jure que c'était plutôt pour faire avancer le projet auprès des politiciens canadiens.

Pressé de questions par l'avocat de la commission et par le commissaire, Goeffrey Oliphant, l'homme d'affaires a suggéré que M. Mulroney aurait pu se rendre utile au niveau provincial. Mais Richard Wolson lui a fait remarquer qu'il a continué à payer M. Mulroney même après l'arrivée au pouvoir du Parti québécois, en septembre 1994. «Ça pourrait être avec la Ville de Montréal», a fini par bafouiller le témoin.

«Donc nous sommes passés du gouvernement fédéral, au gouvernement provincial, au gouvernement municipal!» a lancé l'avocat.

«Feriez-vous n'importe quoi pour rester au Canada, incluant des allégations et des mensonges?» lui a demandé Me Wolson quelques minutes plus tard. M. Schreiber se bat contre l'extradition dans son pays d'origine depuis 10 ans. L'Allemagne souhaite l'arrêter sur des chefs de fraude, évasion fiscale et pots-de-vins.

M. Schreiber a répondu par la négative, et martelé qu'il payait ainsi M. Mulroney pour parer à toute éventualité.

La commission Oliphant reprendra ses travaux ce matin, avec la suite de l'interrogatoire du procureur de la commission. L'avocat de M. Mulroney, Guy Pratte, devrait prendre le relais dans le courant de l'avant-midi. L'ancien premier ministre doit témoigner dans les prochaines semaines.