Le lieutenant Simon Mailloux était responsable de l'avant-garde du gros convoi de 23 véhicules qui, le soir du 16 novembre 2007, a quitté la base d'opération avancée de Ma'sum Ghar près de Kandahar. La mission : établir un poste de police afghan.

«Mon travail était de préparer le terrain pour le commandant de la compagnie», dit-il.Mais 15 minutes après le départ, l'expédition tourne au drame.

L'explosion fait trois morts et autant de blessés. Simon Mailloux conserve le souvenir d'un « gros flash blanc ». Ensuite, c'est l'évacuation, le transfert en Allemagne et à l'hôpital L'Enfant-Jésus, les opérations. Un congé de l'hôpital à Noël pour être avec les siens. Le deuil des camarades tués.

Amputé de la jambe gauche, le lieutenant Mailloux n'a pas perdu un gramme de sa détermination.

En février 2008, moins de trois mois après l'attentat, Mailloux recommençait à travailler, à raison d'une journée par semaine, dans les bureaux de la garnison Valcartier où il est rattaché. Au printemps 2008, à la suite d'un reportage dans le magazine L'actualité, il multipliait les entrevues où il affirmait haut et fort qu'il voulait retourner en Afghanistan.

Mais, en août dernier, il décrochait un job qu'il souhaitait faire un jour, avant même d'être déployé au pays des talibans : devenir aide de camp de la gouverneure générale. Depuis, il s'y consacre corps et âme tout en poursuivant sa réhabilitation. Et en rêvant toujours de retourner en Afghanistan. De préférence dans une position d'opération, une épithète militaire pour dire qu'il veut retourner en zone de combat.

Doit-on, dans ce cas, parler de détermination ou de folie ? Sa famille, sa conjointe, ses plus proches amis, comme n'importe quel quidam rencontré dans la rue ne lui disent-ils pas, au contraire, que c'est carrément de la folie ? Soyons brutal. Que cherche-t-il dans la poursuite de ce projet ? À y laisser sa peau ? Une autre jambe ?

Simon Mailloux écoute sans broncher. Le très léger sourire qui se dessine sur son visage signale que cette question-là, il l'a déjà entendue. Souvent. Calme, posé, serein, sûr de lui, le jeune homme de 25 ans vous regarde droit dans les yeux avec un doux regard.

«Pout !», fait-il avec ses lèvres. Vous savez, ce son qu'on émet lorsqu'on veut dire : «Y'a rien là. C'est quoi le gros problème ?»

«Ce n'est pas parce que je veux retourner là-bas que je suis fou, commence-t-il. Pour moi, le but principal est de prouver la valeur de notre mission. Je me suis rendu en Afghanistan, j'ai accompli plein de choses. Je sens que j'ai un engagement envers la mission. Et je suis capable, selon moi, d'y retourner. Si je n'y vais pas, je manque à mon engagement. Pour moi, c'est quelque chose de primordial. Si je suis dans les Forces canadiennes et que je suis incapable de me déployer, il y a quelque chose qui ne marche pas.»

- Vous parlez d'engagement. Envers qui ?

- Envers la population afghane. On a travaillé pour essayer d'accomplir des choses. Le travail est commencé. Il est avancé. Mais il n'est pas terminé. Il y a beaucoup de choses à accomplir encore. Je ne dis pas que le Canada doit rester là-bas jusqu'à ce que ce pays devienne totalement développé. Mais il y a des choses dont les gens ont besoin et que nous pouvons leur apporter : la sécurité, le développement, de l'eau propre...»

Une entrevue debout

Après plusieurs interventions chirurgicales et un bon moment passé sous les sédatifs, Simon Mailloux a amorcé sa réhabilitation au début de janvier 2008. Le mois suivant, il retournait à temps partiel dans son unité faire des tâches administratives. C'est à ce moment-là que l'idée de devenir aide de camp lui a retraversé l'esprit.

Il n'avait pas le grade (capitaine), mais a tout de même entrepris des démarches pour tenter sa chance. Pour un jeune officier, le job compte plusieurs défis. Et en plus, Mailloux avoue son admiration pour l'actuelle GG.

Au même moment, à Rideau Hall, on avait été fortement impressionné par son passage à l'émission Tout le monde en parle.

«Ayant vu de quelle façon il a pu argumenter sa position, comment il a été en mesure de bien expliquer pourquoi il était en Afghanistan, je trouvais que c'était un jeune homme bien articulé, ce qui est nettement un atout pour le poste», raconte Bernard St-Laurent, sous-secrétaire, politique, programme et protocole, responsable de 86 personnes à Rideau Hall. Il en a discuté avec sa patronne, Michaëlle Jean.

Quelques jours plus tard, à l'occasion d'une cérémonie à l'aérodrome de Trenton où était rapatrié le corps d'un soldat décédé, St-Laurent rencontre le major-général Walter Semianiw, chef du personnel militaire des Forces canadiennes. Il lui parle de Mailloux. Or, ce dernier voulait lui aussi discuter d'une position pour ce dernier à Rideau Hall.

Le lien s'est établi. Mais le job n'était pas acquis.

«Je devais connaître la capacité de Simon à passer beaucoup de temps, debout, à côté de la gouverneure générale, à se déplacer, etc., dit Bernard St-Laurent. Donc, nous avons fait une entrevue en marchant, à la Citadelle de Québec (la seconde résidence officielle de la GG), raconte-t-il. J'ai dit à Simon : « Je vais te montrer comment la place est disposée et t'expliquer quel genre de travail on demande à un aide camp. Et je te poserai des questions.»

De retour au bureau, St-Laurent explique à Mailloux qu'il venait de faire, à son insu, une évaluation de sa condition physique. «C'était une façon un peu sournoise de voir quelle était sa capacité, convient sans gêne le supérieur. C'était important pour moi de voir s'il était en mesure d'effectuer le travail. Il a très bien répondu.»

Retour au combat

Étonnante, la réhabilitation du soldat Mailloux ?

«Être amputé, ce n'est pas être handicapé à vie, fait-il. C'est une condition avec certaines restrictions. C'est une personne qui, pour certaines activités, va avoir besoin d'une certaine adaptation. Je suis allé en vacances avec ma conjointe au Nicaragua. J'ai fait de l'équitation, j'ai nagé dans l'océan. J'ai fait du hiking en bordure d'un volcan. Chaque fois, je me plantais, je me ramassais un peu partout. Mais, pas grave, c'est des choses qui arrivent.»

Et ce parachutiste de formation compte bien sauter à nouveau sous peu. Déjà, l'été dernier, il a bien failli. Seul le mauvais temps a annulé son projet à la dernière minute.

Dans les semaines qui viennent, quelque 1600 camarades de Simon Mailloux rattachés à la base de Valcartier seront déployés à Kandahar. Quand il en aura l'occasion, il ira les saluer. Non sans un pincement au coeur. Le déploiement de 2009 ne sera pas le sien.

Mais comme la mission canadienne doit prendre fin en 2011, les militaires de Québec devront y faire une autre rotation. À ce moment-là, Mailloux aura terminé son affectation de deux ans comme aide de camp. Son objectif de retourner en Afghanistan sera intact, croit-il.

Pourra-t-il, comme il le souhaite, retourner dans une position de combat ? «Je dois me demander si je vais mettre en danger les gars en raison de ma condition. Lorsque j'aurai atteint la capacité maximale de ma réhabilitation, je devrai répondre à cette question.»

Il devra aussi attendre le feu vert de l'état-major qui n'a jamais envoyé un amputé sur le terrain. S'il y a refus, le lieutenant Simon Mailloux dit avoir d'autres options. Il y a de « bonnes positions » au quartier général, à l'aérodrome de Kandahar ou encore à des postes non combattant sur le terrain.

Comme quoi par exemple ? Comme faire partie d'une équipe dont le travail est de... désamorcer des bombes, répond-il le plus sérieusement du monde.