Sans que le commun des mortels s'en aperçoive, un tremblement de terre a secoué le monde du recours collectif le 20 novembre dernier. Et l'onde de choc pourrait en fait toucher toute la justice, puisque déjà quatre jugements rendus en moins de trois mois font référence à cet événement.

Ce jour-là, la Cour suprême a condamné une cimenterie de Beauport, Ciment Saint-Laurent, à verser 15 millions de dollars à des citoyens excédés par la poussière qui leur empoisonnait la vie. Rien de révolutionnaire en apparence.

 

Mais la Cour suprême a consacré la notion de «responsabilité sans faute» en matière de problèmes de voisinage. Autrement dit, votre voisin peut respecter toutes les lois en vigueur - comme le faisait CSL depuis 1952 - et tout de même être condamné s'il vous fait subir des inconvénients au-delà de ce qui est normalement tolérable.

Le débat va maintenant se poursuivre pendant quelques années sur la définition de «normalement tolérable», prédit l'avocat Yves Lauzon. «C'est un jalon très important, ça vient cristalliser une règle qui ouvre la porte au niveau de la responsabilité.»

François Fontaine était l'un des avocats défendant Ciment Saint-Laurent. La décision du 20 novembre «va être utilisée et citée pour les années à venir», dit-il. S'il assure avoir digéré la défaite, il ne peut s'empêcher d'afficher sa perplexité devant certains choix de la Cour suprême - notamment de diviser les citoyens en sous-groupes à qui on octroie une indemnité moyenne, «ce qui est quant à moi contraire aux principes qu'on apprend à l'université».

Éclairage

Pour Pierre-Claude Lafond, l'affaire Ciment Saint-Laurent ne va pas révolutionner le droit, «simplement l'éclairer». Le professeur de droit de l'Université de Montréal est cité pas moins de 12 fois dans le jugement de la Cour suprême. Qu'on doive indemniser un voisin même si on n'a enfreint aucune loi, «ça n'a rien de contradictoire, analyse-t-il. La plupart des pays européens s'alignent sur cette norme-là. Il n'y a rien de nouveau, c'était déjà dans notre droit, mais ce n'était pas clair. On n'a pas créé une nouvelle norme, on a reconnu qu'elle existait.»

On ne verra pas se multiplier les poursuites tous azimuts dans les prochaines années, estime M. Lafond. «Le principe de responsabilité sans faute n'est reconnu qu'en matière de trouble de voisinage, ce n'est pas universel. Ça ne veut pas dire qu'on va se mettre à poursuivre des médecins, parce qu'ils auraient agi sans faute dans tel dossier. Ce serait absurde, on aurait raison de s'élever contre ça.»

Plutôt que de favoriser les chicanes de clôture, cette décision consacre un «retour à l'harmonie entre voisins», croit le professeur de droit. «Quand on a des voisins, on est obligé de vivre en harmonie avec eux. Ça nous invite à quelque chose de plus respectueux dans notre société.»