«Moi, vous savez, j'ai déjà joué, dans ce film-là...» Comme les autres parents qui ont perdu une fille dans le drame de Polytechnique, en 1989, Carmen Pepin, la mère d'Annie Turcotte, a été invitée à voir le film de Denis Villeneuve avant sa sortie en salle, la semaine prochaine.

Carmen Pepin n'y est pas allée. Son mari non plus. «Je ne suis pas contre le film, surtout si c'est bien fait. Seulement moi, je n'ai pas envie de le voir.» Son fils y est allé, avec sa conjointe et ses trois filles. «Après le film, mes petites-filles ont tout de suite dit: «Il faut qu'on aille voir papi et mamie.»»

 

Douloureux de se faire parler du 6 décembre à répétition? Difficile d'entendre parler de ce film, de revoir des reportages commémorant le 6 décembre ou d'avoir vu la mère de Marc Lépine en entrevue? «Pas du tout. Ce n'est pas comme si on me rappelait quelque chose que je peux oublier de toute façon. Ça ne peut pas rouvrir de plaies puisqu'elles ne se sont jamais vraiment refermées. Même si c'est de moindre intensité, pour moi, c'est tous les jours le 6 décembre. Faire le deuil de son enfant, ce n'est jamais fini. Et en ce qui concerne la mère de Marc Lépine, à mes yeux, elle n'est pas différente des autres mères: elle aussi a perdu son enfant et elle n'avait pas à nous demander pardon.»

Sylvie Haviernick, qui a perdu sa soeur ce jour-là, a été l'intermédiaire entre les artisans du film et les familles, offrant sa collaboration aux premiers et s'assurant que les proches soient traités avec délicatesse. La semaine prochaine, elle en dira plus. Pour l'instant, elle fait remarquer à quel point les réactions sont tranchées. «Il y a ceux qui sont certains d'aller voir le film et ceux qui sont certains de ne pas vouloir y aller.»

Samuel Pierre, qui est professeur à l'École polytechnique, y était étudiant, le 6 décembre 1989. Pour sa part, il passera son chemin. Pas parce qu'il est contre l'idée d'un film. «Parce que je l'ai vécu. Je n'apprendrais rien de neuf.»

À l'instar de M. Pierre, d'autres professeurs encore actifs à l'École polytechnique se sont montrés très réservés dans leurs commentaires au motif que le service des communications de l'École avait demandé au personnel de s'en remettre aux porte-parole officiels. Chantal Cantin, la directrice des communications, explique que, en fait, chacun est libre d'y aller de ses commentaires personnels mais que, pour un commentaire officiel, ça doit venir d'un porte-parole. «Nous avons 300 employés et professeurs qui ont vécu le drame et qui travaillent toujours à Polytechnique. Dans nos murs, c'est un sujet délicat.»

Un autre professeur, qui a demandé l'anonymat, se souvient que les autorités avaient demandé la même réserve aux employés quand les recherchistes du film ont sollicité des témoignages. Lui-même n'a pas donné suite à leurs appels et ne compte pas aller voir le film non plus. «Peut-être aurais-je été plus intéressé par un documentaire. Par un film de fiction? Pas vraiment.»