Les images de cols bleus pataugeant dans une mare d'eau pour réparer des canalisations vétustes ont fait le tour de la province, la semaine dernière. Mais les conduites d'eau n'éclatent pas qu'à Montréal, révèle un tour d'horizon de La Presse, bien au contraire. Même le gouvernement l'admet: les tuyaux coulent partout.

La canalisation qui a éclaté vendredi et provoqué la fermeture de la rue Saint-Jacques était la 65e à céder depuis le 1er janvier. Du nombre, 20 bris sont considérés comme «majeurs» par les autorités.

Phénomène isolé ? Pas du tout. Pendant la même période, Trois-Rivières a compté 12 fuites dans un réseau six fois moins grand. Longueuil et Laval ont respectivement dénombré 19 et 22 ruptures «mineures». Les réseaux de Sherbrooke et Québec en ont eu 10 chacun.

«Le portrait de Montréal n'est pas très différent de ce qu'on trouve ailleurs, concède la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau. De façon générale, on reconnaît que le réseau souterrain est dans un état de vétusté assez avancé.»

La différence majeure entre la métropole et les autres villes est l'ampleur des dégâts, poursuit la ministre. L'éclatement d'une conduite au centre-ville provoque des embouteillages, force des citoyens à évacuer leur domicile, prive des centaines de personnes d'eau courante, parfois pendant des jours.

«On n'a pas vu d'images aussi spectaculaires ailleurs, indique Mme Normandeau. Par contre, on sait que des équipes en travaux publics sont déployées de façon importante dans d'autres villes du Québec.»

Négligence

À Trois-Rivières, par exemple, pas moins de 51 conduites ont cédé depuis le mois de novembre. Comme Montréal, cette ville doit composer avec des centaines de kilomètres de conduites qui ont atteint, sinon dépassé, leur durée de vie.

À Saguenay, toutes les conduites principales ont été rénovées en 1997. Pourtant, la municipalité a dû colmater 17 ruptures depuis le début de l'année.

«Le problème est que la ville ne finit plus! lance le maire Jean Tremblay. Elle est deux fois et demie longue comme l'île de Montréal. On a 1500 km de conduites. Ça n'a pas de sens!»

Déjà aux prises avec un réseau immense, le maire doit également faire avec des années de sous-investissement, tout comme nombre de ses homologues.

«Les réseaux ont été négligés pendant 25, 30 ans, dit-il. Ils n'ont pas été entretenus beaucoup. Quand on a des réunions avec les maires des autres grandes villes, c'est toujours le même problème.»Après avoir mené un examen exhaustif de ses conduites d'eau, la Ville de Québec a dû réparer 727 bris en 2007, un bond de 40% par rapport à l'année précédente.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, s'est depuis engagé à investir 7 milliards en 15 ans pour restaurer des infrastructures négligées par ses prédécesseurs. De cette enveloppe, 4,5 milliards serviront à refaire les égouts, les conduites d'eau et les routes.

Cet investissement coûteux était devenu urgent, a indiqué le maire Labeaume, joint par téléphone. Les administrations précédentes ont préféré investir dans le patrimoine bâti plutôt que dans le souterrain. Ces travaux, qui touchent des bâtiments historiques ou des espaces extérieurs, sont beaucoup plus visibles que les égouts - et donc beaucoup plus rentables pour les politiciens.

«On ne coupe pas de ruban rouge lorsqu'on change un tuyau d'égout, a-t-il expliqué. Mais quelqu'un doit le faire à un moment donné.»

Laval s'en tire

En fait, seule la Ville de Laval semble se tirer d'affaire. «On n'en a pas plus que les autres années», s'est réjoui le maire, Gilles Vaillancourt, qui est aussi porte-parole de la Coalition pour le renouvellement des infrastructures, un organisme qui rassemble des élus, des dirigeants d'entreprise, des syndicats et des chambres de commerce.

Mais sa municipalité est choyée: les deux tiers de son réseau d'eau ont été construits il y a moins de 20 ans. En comparaison, selon une étude réalisée en 2002, les trois quarts des conduites d'eau du territoire de Montréal sont âgées de plus de 30 ans. Et 42% du réseau a été construit entre les années 50 et 70, une période «défavorisée» au plan de la qualité des matériaux.

«Lorsqu'on a fait l'inventaire, Montréal était la ville où les infrastructures étaient les plus vieilles, indique Gilles Vaillancourt. Il serait normal que, en proportion, elle ait plus de travail à faire.»