Une page d'histoire sera bientôt tournée. Après 127 ans de présence à Oka, les moines trappistes s'apprêtent à déménager. Dans quelques semaines, les 24 derniers résidants de l'abbaye Notre-Dame-du-Lac iront refaire leur vie dans un nouveau monastère, construit à Saint-Jean-de-Matha, dans Lanaudière. Une belle occasion de repartir à neuf, même si, pour certains, la transition s'annonce plus difficile...

Ce déménagement, on en parle depuis 2003. Mais cette fois, l'heure est proche. À l'abbaye, les moines ont commencé à faire leurs valises.

 

Les 30 000 livres de la bibliothèque sont déjà dans des boîtes. Soixante palettes de bouquins dorment dans le sous-sol, prêtes à partir. L'ancienne salle du réfectoire, transformée en vaste entrepôt, est remplie de meubles, d'icônes, de statues bibliques et de crucifix, empilés les uns par-dessus les autres.

«Ce que nous n'apportons pas sera vendu aux enchères - silencieuses bien sûr! - ou donné à la Corporation qui a racheté l'abbaye», explique le frère Luc-André, père abbé de la communauté.

Pas de doute, c'est une page d'histoire qui se tourne. Pour la communauté elle-même, enracinée à Oka depuis 1881. Mais aussi pour certains moines plus âgés, qui s'efforcent de prendre la chose avec philosophie.

C'est le cas du frère Gaston, 85 ans, entré dans les ordres en 1942, qui n'a rien connu d'autre que la vie à l'abbaye. «Je vais avoir le mal du pays, c'est certain, dit-il. J'avais 19 ans quand je suis arrivé ici. C'est ma vie... Mais en même temps, je comprends qu'il faut changer.»

«Personne ne peut nier que c'est un arrachement, renchérit le frère Bénédict, 84 ans, présent à l'abbaye depuis 1945. Mais nous avons choisi le Christ et s'il est le sens de notre vie - ce qui est le cas -, il me semble que nous le trouverons là-bas aussi bien qu'ici!»

En vérité, peu de moines se sont opposés au déménagement du monastère. Malgré les réticences des uns et les appréhensions des autres, la décision fut prise à l'unanimité.

La route d'Oka était devenue trop passante, et l'abbaye, construite à l'origine pour 300 personnes, beaucoup trop grande pour cette communauté en constante diminution, qui est passée de 178 à 24 moines en moins d'un demi-siècle. «On s'est aperçu qu'on ne travaillait plus que pour payer le chauffage et la douzaine d'employés, résume le frère Luc-André. Cela n'avait pas de sens.»

Le choix de s'établir à Saint-Jean-de-Matha s'est imposé d'emblée parmi une soixantaine de lieux visités. Situé en pleine forêt, à plus d'un kilomètre de la route 131, le nouveau lieu, rebaptisé Val Notre-Dame, offrira un isolement beaucoup plus propice à la vie monastique, dans un cadre naturel favorable à la contemplation.

Revenir à l'essentiel

Reste à voir comment les moines s'adapteront à leur nouvelle vie. Car malgré ses avantages, Val Notre-Dame ne sera jamais Notre-Dame-du-Lac.

«Certains d'entre nous devront faire le réapprentissage de la solitude, admet le frère Luc-André. Ce sera une période de transition difficile.»

Difficile aussi sur le plan financier, puisque la communauté ne pourra plus compter sur ses sources de revenus traditionnelles. Le nouveau monastère n'aura ni jardins ni vergers. L'hôtellerie va passer de 40 à 13 chambres. La pâtisserie et la chocolaterie vont poursuivre leurs activités, mais il n'est pas question de boutique, du moins les premiers temps. Enfin, une des deux collections littéraires de l'abbaye, Le pain de Cîteaux, va fermer ses portes.

Cette réorganisation des structures (et, par extension, du travail) était pourtant nécessaire, estime le frère Luc-André. Après 127 ans à Oka, la communauté était repliée sur ses vieilles habitudes. Ce nouveau modèle, plus léger, «va nous permettre de revenir à l'essentiel», dit-il.

Fait à noter: il est extrêmement rare qu'une communauté se déplace en bloc. Dans l'histoire récente, seuls deux monastères trappistes ont changé de lieu, et ce pour des raisons exceptionnelles.

Dans les années 70 au Chili, les moines de Santiago avaient déménagé après que Pinochet eut fait construire sa résidence en face du monastère. En 1996, après le massacre de sept moines à Tibérine (Algérie), le reste de la communauté s'était réfugié au Maroc.

Une communauté mourante?

Né en 1892 de la cuisse des cisterciens, qui appartiennent eux-mêmes à la grande famille bénédictine, l'ordre des frères trappistes (aussi connu comme celui de la «stricte observance», en raison de leur application à la lettre de la règle de saint Benoît) compte actuellement 4500 moines et moniales, et 172 monastères dans le monde.

Aussi étrange que cela puisse paraître, le nombre de monastères augmente même si celui des moines continue de baisser. Alors que des communautés comme celle d'Oka fondent comme neige au soleil, d'autres sont en expansion, notamment en Amérique latine, en Afrique et en Asie. «Il se construit un nouveau monastère par an et demi», souligne le frère Luc-André.

Avec la moitié de ses moines qui ont plus de 60 ans, et une relève de plus en plus rare, on peut s'interroger sur l'avenir des trappistes de Saint-Jean-de-Matha. Mais le père abbé, lui, ne semble pas s'en inquiéter. «La vie monastique n'a pas à faire nombre. Elle a à faire signe, précise-t-il. À trois, nous serons encore une communauté. À deux, ce sera plus problématique. Le dernier fermera les lumières...»

Pour en savoir plus: www.ocso.org