Le gouvernement Harper envisage de modifier de façon importante la politique canadienne en matière de renvoi de ressortissants étrangers vers des pays jugés dangereux, a appris La Presse. Des documents révèlent qu'Ottawa a préparé un plan pour faire passer de huit à trois le nombre de pays «sous moratoire». Plus de 6200 personnes pourraient être touchées. La dernière initiative de ce genre du gouvernement fédéral, qui visait l'Algérie, avait soulevé l'ire de l'opinion publique.

Les ressortissants d'Haïti, de l'Afghanistan, de l'Irak, du Zimbabwe, du Liberia, de la République démocratique du Congo, du Burundi et du Rwanda qui sont arrivés au Canada par leurs propres moyens ne peuvent être renvoyés chez eux, même si leur demande pour demeurer ici est refusée.

 

Ça, c'est la situation actuelle. Or La Presse a appris que des ressortissants de cinq de ces huit pays pourraient se voir retirer ce privilège. On ignore lesquels: les documents que nous a remis l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ont été caviardés de manière à en cacher les noms; plus tôt cette semaine, l'organisme n'a pas voulu fournir plus de détails.

On peut toutefois croire qu'Haïti serait du nombre. La demande d'accès à l'information formulée par La Presse visait ce pays spécifiquement. Puis, à au moins un endroit dans les documents obtenus, les fonctionnaires du gouvernement ont omis de censurer le nom du pays des Antilles.

«Si on parle de cinq sur huit, je présume que les pays qui vont garder le moratoire seront l'Afghanistan, l'Irak et le Zimbabwe», croit pour sa part Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés.

Selon elle, une telle décision du gouvernement serait néanmoins trop draconienne. «Ce sera difficile de justifier le retrait de cinq pays, a-t-elle dit. Ce sont souvent des pays dévastés par des guerres civiles, qui sont très pauvres et qui n'ont pas pu se remettre des conséquences de la guerre, ce qui fait que la situation est très instable.»

Plus de 6000 personnes visées

«Nous croyons que 6200 personnes pourraient être affectées. Mais ce n'est pas tout ce monde-là qui sera sujet à un renvoi immédiat», peut-on lire dans les documents du fédéral.

Des organismes québécois de protection des réfugiés évaluent qu'entre 60% et 80% de ce nombre vivraient au Québec, surtout dans la région de Montréal. En effet, c'est dans la métropole québécoise que se trouve une bonne partie des ressortissants haïtiens, congolais, rwandais et burundais présents au Canada.

Certains d'entre eux peuvent être ici depuis près de 15 ans. Le moratoire sur l'Afghanistan, le Burundi et le Rwanda, par exemple, a été établi en 1994. Celui sur la République démocratique du Congo date de 1997. Quant à Haïti, le moratoire a été établi en 2004, mais d'autres mesures avaient déjà été mises en place durant les crises politiques des dernières décennies.

Pas de date

On ignore pour l'instant la date à laquelle le gouvernement annoncera ses intentions. On ignore aussi si la situation qui s'est dégradée dans certains pays, comme en République démocratique du Congo ou au Zimbabwe, pourrait lui faire revoir ses objectifs à la baisse.

En juin dernier, toutefois, le président de l'ASFC, Alain Jolicoeur, a qualifié la décision d'«imminente», bien que non finalisée. Il s'exprimait alors dans une note d'information qu'il a personnellement adressée au ministre de la Sécurité publique.

À peu près au même moment, entre le printemps et l'été dernier, la démarche du gouvernement semblait suffisamment avancée pour que l'Agence se prépare à tenir une conférence de presse. «Cette annonce comporte un élément de risque en matière de relations publiques», y a-t-on d'ailleurs reconnu.

Cette semaine, l'ASFC a été avare de commentaires. La seule réponse que La Presse a pu obtenir tient en deux phrases: «En ce moment, il n'y a aucun changement aux listes des suspensions temporaires de renvoi. Et dès qu'il y a des changements, je peux vous notifier», a dit une porte-parole.

Lueur d'espoir?

Les documents, qui comprennent aussi une liste de questions-réponses, justifient le retrait des cinq pays en disant que la situation s'y est améliorée, que des élections «justes et libres» y ont récemment eu lieu et que l'aide humanitaire y a stabilisé les conditions de vie et de sécurité.

On explique que les ressortissants de ces pays disposeront de 180 jours pour faire une demande de résidence permanente pour motif humanitaire. Et les personnes qui ont déjà entamé des procédures pour rester au pays - une demande d'asile, par exemple - pourront rester jusqu'à ce que leur dossier soit réglé.

Mais Janet Dench craint que cette stratégie ne fasse que reporter le problème, en plus d'engorger les systèmes judiciaires et administratifs.

Récemment, son organisme a été appelé à expliquer au gouvernement fédéral pourquoi la République démocratique du Congo devrait rester sur la liste. Elle espère maintenant que cette consultation n'était pas que de la poudre aux yeux.

Avec la collaboration de William Leclerc