Le sort de Mohamed Kohail, jeune Montréalais condamné à la décapitation en Arabie Saoudite, préoccupe de plus en plus l'organisation internationale Human Rights Watch. Chien de garde des droits de la personne, HRW croit que le Canada ne devrait pas agir seul dans ce dossier et demande aux États-Unis ainsi qu'aux pays européens de faire pression sur les autorités saoudiennes. «L'exécution de Mohamed Kohail pourrait être un précédent dangereux. De mémoire humaine, l'Arabie Saoudite n'a jamais exécuté le détenteur d'un passeport occidental», a dit Christoph Wilcke, chargé du dossier à HRW.

De famille palestinienne, mais né en Arabie Saoudite où il a le statut d'immigrant, Kohail est citoyen canadien. Il a vécu avec sa famille dans la région de Montréal pendant six ans avant de retourner en Arabie Saoudite avec ses proches en 2006.

 

Ses déboires avec la justice saoudienne ont commencé quelques mois après son retour à Djeddah. En janvier 2007, une bataille de cour d'école à laquelle il a pris part avec son frère cadet, Sultan, a tourné au drame. Au cours de la querelle, un jeune Syrien du clan rival, Munzer Haraki, est décédé.

Un an après l'incident, Mohamed Kohail et un de ses amis étaient condamnés à mort. Depuis, la Cour de cassation saoudienne a renvoyé trois fois à l'instance inférieure le verdict de culpabilité. Mais selon les parents de Mohamed Kohail, qui ont été contactés par des employés du système judiciaire saoudien, la quatrième décision de la cour de première instance a été approuvée vendredi par la Cour de cassation.

Christoph Wilcke note que malgré cette mauvaise nouvelle, il reste plusieurs étapes avant que la sentence ne soit mise à exécution. Le Conseil judiciaire suprême, équivalent de la Cour suprême dans le royaume wahhabite, sera saisie de la décision et étudiera à nouveau la cause. Dans l'éventualité d'un maintien de la sentence, le roi doit approuver la mise à mort. S'il refuse sa clémence, le condamné n'a plus qu'un recours: la famille de la victime. Cette dernière, en échange du versement d'un prix du sang, peut décider de gracier le condamné in extremis. «Tout ça peut prendre cinq jours, cinq ans. Il n'y a pas de règle.»

Selon lui, l'incertitude qui entoure la procédure ne devrait pas empêcher le gouvernement canadien d'appliquer de fortes pressions diplomatiques dès maintenant. «Il y a une question de stratégie. Le gouvernement canadien ne veut pas mendier pour la vie de son citoyen trop tôt dans le processus. Mais maintenant que le verdict de première instance est établi, il faut parler très fort et très publiquement.»

Cette opinion est partagée par les proches du condamné. Ceux-ci demandent au premier ministre Stephen Harper d'intervenir directement auprès du roi Abdallah. «L'heure est grave. C'est vraiment une situation traumatisante pour la famille», soulignait hier Mahmoud Al-Ken, un ami montréalais des Kohail.

Pour le moment, le gouvernement Harper ne prend pas d'engagement clair. Hier, le ministère des Affaires étrangères a répondu à La Presse par courriel. La diplomatie canadienne affirme ne pas détenir la preuve qu'un jugement a été rendu par la Cour de cassation vendredi et qu'il serait inopportun de commenter une cause qui est devant les tribunaux.

Cette dernière affirmation fait sortir les organismes de défense des droits de la personne de leurs gonds. Autant Amnistie internationale que HRW dénoncent la corruption et le manque de transparence du système judiciaire saoudien, qui a condamné à mort plus de 150 personnes en 2007 et près de 80 cette année.

«Ma plus grande peur est que les pays occidentaux, où la primauté du droit est censée régner, sacrifient la vie d'un de leurs citoyens plutôt que de perdre la faveur de l'Arabie Saoudite et tout l'argent qui y est lié», tonnait hier Christoph Wilcke.

Selon lui, le Canada aurait plus de chance de faire commuer la sentence si des pays comme la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne menaçaient tous le riche royaume de représailles. «Mais personne ne semble intéressé à demander des comptes à l'Arabie Saoudite pour son bilan des droits de la personne.»