Les 265 travailleurs en lock-out de la raffinerie Petro-Canada ont rejeté massivement mercredi dernier les dernières offres présentées par la partie patronale, prolongeant ainsi un conflit qui s'éternise déjà depuis plus de 10 mois. Les syndiqués semblent désormais résignés à passer un deuxième hiver une pancarte à la main.

Dimanche matin. Il est 9h. Le ciel est gris, triste comme il peut l'être un matin d'automne. Froid et humide. Sous un abri de plastique verdâtre, cinq hommes, la barbe naissante, jouent aux cartes tranquillement. Une fille dort dans un coin.

 

Le petit groupe s'occupe tant bien que mal en attendant la relève. Chaque syndiqué est tenu de faire 21 heures de piquet par semaine, en échange desquelles il reçoit 500$, versés à parts égales par le syndicat local et ceux des autres raffineries du pays. À midi, un autre groupe viendra prendre la relève jusqu'à 18h. Et ainsi de suite jusqu'à la fin du conflit...

Ce matin-là, les travailleurs sont tous très jeunes. Le doyen du groupe travaille à la raffinerie depuis sept ans, mais Mathieu Boulais et Caroline Corriveau comptaient à peine sept mois d'ancienneté quand le lock-out a été décrété, le 17 novembre dernier. En d'autre mots, ils ont plus d'ancienneté «sur le trottoir» qu'«à l'intérieur». Les syndiqués insistent tous sur «le bon, l'excellent moral» des troupes, mais derrière les sourires et les rires, on sent vite poindre frustration et exaspération. En novembre dernier, les employés ont fait un pool sur la date à laquelle ils pensaient retourner au travail. Ils sont rares, aujourd'hui, ceux qui ont encore des chances de remporter la cagnotte. La plupart avaient parié sur le mois de mars 2008. Au pire.

«On est surpris, mais ils le sont encore plus, à l'intérieur. Ils ne pensaient jamais qu'on tiendrait aussi longtemps», dit Mathieu Boulais.

Des klaxons d'automobilistes interrompent régulièrement leurs conversations, en signe de solidarité. Sauf les jours où le prix de l'essence à la pompe augmente. Là, c'est le contraire. «Les gens nous crient de retourner au travail. Ils pensent que c'est en partie à cause de nous!» s'étonne Mathieu Boulais.

D'autres, aussi, jugent que ces employés aux salaires supérieurs à la moyenne provinciale se plaignent le ventre plein. Ceux-là aussi leur crient des insultes.

Des revendications incomprises

«Quand on est en lock-out, on est considérés comme des moins que rien», dit encore Caroline, qui a dû se résoudre à renégocier son prêt hypothécaire il y a quelques semaines, coincée par la baisse très marquée de ses revenus.

«Les gens ont beaucoup de mal à comprendre nos revendications et pensent qu'on veut juste des meilleurs salaires. On n'est pas dehors pour ça», relève Pierre Ouimet.

La pétrolière refuse de conclure avec ses employés montréalais un règlement calqué sur le modèle en vigueur dans l'industrie du pétrole au pays. «Ils veulent nous casser, ils pensent que ce sera plus facile parce que la proportion d'employés jeunes est très forte ici», affirme Christian Brazeau.

Les questions de santé et sécurité sont aussi au coeur des préoccupations. Les nombreux départs à la retraite ont fait en sorte que les employés gravissent beaucoup plus vite les échelons. Des travailleurs, jeunes et peu expérimentés, doivent occuper des postes lourds de responsabilités sans avoir la préparation qu'ils estiment nécessaire. Les chefs de famille sont les plus durement éprouvés. Quelques-uns ont pris de petits boulots à droite et à gauche, dans des épiceries ou des restaurants. «Aucune autre pétrolière ne veut nous embaucher», lâche Christian Brazeau. Une poignée sont partis travailler dans les provinces de l'Ouest, mais la quasi-totalité sont restés.

Pourquoi? Parce qu'ils aiment leur travail. Tout simplement. «C'est ce qu'il y a de mieux, travailler dans une raffinerie, peut-être que dans 30 ans, je serai tanné, mais là, je ne m'imagine nulle part ailleurs», dit Yannick Busque.

Mais Roger Trottier, qui en est à son quatrième conflit en 30 ans de service, lui fait vite cette mise en garde: «Le climat va être tendu quand on va rentrer.» Roger Trottier était à 10 jours de la retraite quand le lock-out a été décrété. Le repos sous le soleil devra attendre, alors qu'il se prépare à passer un deuxième hiver sous la tente: «On va ressortir bientôt la chaufferette et le petit barbecue.»

Ses collègues opinent. Si le pool était à refaire, ils parieraient presque tous sur un rentrée au travail au printemps 2009. Au mieux, cette fois.

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