Réviser l'ensemble des pratiques du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Compiler des statistiques sur la race et le statut social des personnes interpellées. Doter tous les policiers de caméras corporelles. Estimant que le profilage racial et social est toujours bien présent à Montréal, des élus de toutes les allégeances à l'hôtel de ville ont présenté hier soir une trentaine de recommandations pour tenter de mettre fin au problème générateur de tensions.

Point central de ce rapport rédigé au terme d'une consultation publique, les 17 élus montréalais demandent une «révision de toutes les dispositions réglementaires et directives» en place au SPVM. On veut ainsi évaluer comment leur application peut contribuer à des comportements de profilage par des agents.

Pour s'assurer qu'il réponde à l'objectif de mettre fin au profilage, cet exercice de révision devrait avoir lieu en collaboration avec la Commission des droits de la personne, poursuit le rapport. Le document invite également le corps policier à se doter d'un conseil à l'éthique pour conseiller les agents dans leurs interventions.

Un phénomène à mesurer

Autre élément important, les élus demandent dès 2018 la «mise en place d'un système de collecte de données concernant l'appartenance raciale et sociale perçue et présumée» des gens interpellés. Bref, chiffrer le phénomène et rendre publiques ces données. Pour y arriver, le corps policier est invité à s'adjoindre l'aide d'une équipe de recherche indépendante. Le travail devra de plus être validé par la Commission des droits de la personne.

Le SPVM est également invité à s'inspirer du modèle ontarien qui a introduit la distribution de billets d'interpellation ainsi qu'un registre sur les interventions policières.

Mesurer le phénomène est important, dit Pierre Gaudreau, qui dirige le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal. «Ça peut permettre de trouver combien de tickets ont été donnés à combien de personnes. Ça permet de voir l'ampleur du problème et de dire à la police qu'il faut agir autrement.»

Le SPVM appuie les objectifs



La compilation de données marquerait un virage important puisque le SPVM se montre réticent depuis longtemps à colliger des statistiques sur le phénomène. Affirmant appuyer les objectifs des élus, le corps policier s'est dit prêt hier à collaborer avec la Ville pour établir des indicateurs.

«On va voir quelle mesure est la plus efficace et qu'on peut appliquer», a commenté le commandant Éric Soumpholphakdy, dont l'équipe est responsable du plan de lutte contre le profilage racial. Ce dernier a souligné que d'importants efforts ont été déployés pour enrayer le phénomène. «Depuis le début, notre position demeure la même, le profilage racial et social est interdit, on n'accepte pas cela.»

Quant à la révision des pratiques, le commandant Soumpholphakdy souligne que le SPVM applique les règlements adoptés par les élus. L'hôtel de ville aura donc aussi du travail à faire.

Des caméras pour tous les policiers



Le groupe d'élus recommande également de mener à bien son projet-pilote sur l'utilisation des caméras corporelles. Le rapport estime que celui-ci permettra d'établir la «pertinence et les conditions pour généraliser le recours à cet outil pour tous les policiers».

Les caméras permettraient de mieux documenter les incidents survenant lors d'interventions policières. Leur implantation au sein de nombreux corps policiers aux États-Unis a permis de réduire les interpellations violentes, selon diverses études.

Un problème à reconnaître

Au-delà du SPVM, les élus demandent à la Ville de Montréal de faire un geste fort en reconnaissant publiquement «que le problème posé par les profilages racial et social persiste». Cette démarche permettrait d'aider les personnes ciblées par le profilage à entreprendre leur guérison.

Les élus estiment que la reconnaissance officielle de l'existence du phénomène marquerait un premier pas important pour lutter contre celui-ci.

Protecteur des itinérants satisfait



Le protecteur des itinérants de Montréal, Serge Lareault, s'est dit très satisfait des recommandations des élus. «C'était un dossier important et on avait peur de l'échapper, que les recommandations soient faibles. Mais cette commission a travaillé d'un bout à l'autre, en s'attaquant à la source du problème et en proposant des pistes de solution», a-t-il réagi.

En poste à la Ville de Montréal depuis un an et demi, Serge Lareault dit que le problème est toujours d'actualité. «La question du profilage m'est constamment rapportée, pas juste à la ville, mais aussi dans le réseau de la santé», a-t-il confié en entrevue à La Presse.

«On demande cela depuis plus de 10 ans, s'est quant à lui réjoui Pierre Gaudreau. Dormir dehors, occuper trop d'espace sur un banc, le flânage, ce sont des règlements utilisés de façon abusive, particulièrement envers les personnes en situation d'itinérance. Oui, on a réduit le coût des tickets, on n'emprisonne plus, mais il faut agir autrement que donner des contraventions.»

Consultation publique

Le rapport déposé hier soir à l'hôtel de ville est le point final d'une consultation menée au printemps au cours de laquelle plusieurs groupes ont été entendus. Deux commissions municipales comptant près d'une vingtaine d'élus avaient été chargées au début de 2017 d'étudier la question du profilage, tant racial que social. Leurs recommandations étant déposées tout juste avant le déclenchement des élections municipales, il reviendra à l'administration élue le 5 novembre d'en disposer. Pierre Gaudreau espère que les candidats profiteront de la campagne pour se prononcer sur la question et afficher leurs couleurs.