Trois services d'injection supervisée qui avaient déjà ouvert leurs portes la semaine dernière en territoire montréalais ont été «inaugurés» lundi par des élus des trois ordres de gouvernement fièrement réunis autour de cette initiative de santé publique, mais tout le monde n'est pas aussi ravi de la nouvelle.

Le résidant Daniel Marangère fulminait alors que la ministre québécoise déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, le secrétaire parlementaire de la ministre fédérale de la Santé, Joël Lightbound, et le maire de Montréal, Denis Coderre, participaient à une séance de photos à l'un des sites administrés par l'organisation CACTUS-Montréal.

M. Marangère et une autre citoyenne du quartier, Chantal Beauregard, ont raconté aux politiciens et journalistes que leur vie est un enfer depuis que le centre a ouvert ses portes sur une rue du centre-ville de Montréal, il y a une semaine.

«Qu'est-ce que tu penses de ça, du monde qui se pique en avant (du site)?», a lancé M. Marangère au maire Coderre en lui montrant une photo sur son cellulaire.

«Il n'y a même pas de caméras, il n'y a même pas de sécurité, rien!», a-t-il ajouté. «Ça fait une semaine, puis on est déjà tannés.»

Les nouveaux services sont offerts par trois organismes montréalais existants: Dopamine, dans Hochelaga-Maisonneuve, et CACTUS-Montréal, dans le Quartier latin, qui disposent d'un local fixe, et L'Anonyme, pour l'unité mobile, qui serait unique en son genre en Amérique du Nord.

Le docteur Richard Massé, directeur de la santé publique à Montréal, dit comprendre l'argument de type «pas dans ma cour» brandi par certains citoyens. Mais sur les autres territoires où de tels centres ont été établis, cette réticence s'est effacée avec le temps puisque ces installations permettent d'éloigner les toxicomanes de la rue.

«Le soutien pour ces sites augmente continuellement. Nous pouvons comprendre que quand c'est près d'eux (les citoyens), ils deviennent plus sensibles», a-t-il expliqué.

Les sites montréalais s'inspirent des pratiques du centre Insite, à Vancouver, qui est devenue en 2003 la première ville en Amérique du Nord à accueillir un service légal d'injection supervisée.

«Ce que les études, à Vancouver particulièrement, ont démontré, c'est que plutôt que d'être un problème, c'est vraiment une solution», a ajouté le docteur Massé.

Le gouvernement fédéral a donné son aval à d'autres sites à Vancouver, ainsi qu'à Toronto et à Surrey, en Colombie-Britannique.

Les intervenants estiment qu'environ 4000 personnes s'injectent des drogues intraveineuses à Montréal. Les trois services d'injection supervisée ont été approuvés par Santé Canada le mois dernier. Un quatrième point de services, celui de l'organisme Spectre de rue, dans Centre-Sud, est présentement en cours de préparation.

Ces services d'injection supervisée ne fournissent pas de drogues: ils permettent aux usagers de s'injecter leur drogue dans de bonnes conditions d'hygiène et de sécurité, sous la supervision de personnel infirmier et d'intervenants. L'ensemble de ces services sera sous la responsabilité des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).

Le directeur de santé publique Montréal a indiqué que les services d'injection supervisée ont déjà accueilli de nombreux usagers depuis leur ouverture, lundi dernier. Des chiffres sur l'achalandage seront par ailleurs disponibles dans trois mois.

Chantal Beauregard croit que les plaintes des résidants ne seront pas écoutées. «Ils ont investi des millions ici. Ils ne partiront pas», a-t-elle déploré.

Le député Lightbound a souligné que le Canada fait face à une crise importante d'opioïdes et que le nombre de décès liés aux surdoses grimpera probablement cette année par rapport aux 2458 recensés l'année dernière.

Bien que le Québec semble avoir été largement épargné de la crise d'opioïdes qui sévit en Amérique du Nord, la ministre Charlebois croit que ces sites font partie de la solution.

Les détracteurs des sites prétendent qu'ils incitent à consommer de la drogue, mais les études démontrent plutôt qu'ils ont pour effet de diminuer le nombre de morts par surdose, et les transmissions du VIH et de l'hépatite C. «Nous n'avons pas à attendre que le (fentanyl) arrive. Nous devrions être en mode prévention», a expliqué la ministre Charlebois.

Denis Coderre dit faire partie d'un groupe de travail avec les maires de Toronto et Vancouver qui vise à partager des données et les meilleures pratiques pour faire face à la crise d'opioïdes.

«Personne ne dit que ça n'arrive pas déjà ici, maintenant. La réalité c'est: est-ce que nous sommes prêts? Je crois que ces sites aideront, mais nous devons demeurer vigilants», a-t-il soutenu.

Photo Robert Skinner, La Presse

La ministre québécoise déléguée à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, et le maire de Montréal, Denis Coderre