Les eaux de la rivière des Prairies se sont peut-être retirées à Montréal, mais elles ont laissé derrière des dizaines de maisons inhabitables. Leur structure ayant été lourdement endommagée et la prolifération des moisissures étant trop importante, certaines risquent la démolition. La Presse a accompagné une équipe d'inspecteurs chargée d'évaluer les dégâts dans les centaines de maisons touchées par les inondations.

« ÇA NE VA PAS »

« Les médias disent que les gens ont commencé à réintégrer leur maison, alors les gens pensent que ça va. Mais ça ne va pas. » Deux semaines après avoir vu sa maison inondée, Yannick Bazile était encore sous le choc, hier, à l'occasion de la visite des inspecteurs de la Ville de Montréal. Ses cinq visiteurs ont confirmé ce qu'elle redoutait : sa maison est inhabitable pour le moment, les moisissures ayant trop proliféré dans le sous-sol. Elle devra faire démolir tous les murs et le plancher de son sous-sol et faire décontaminer le reste la maison avant de pouvoir la réintégrer.

MARATHON D'INSPECTIONS

Depuis quelques jours, le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) a entrepris un marathon d'inspections pour visiter les maisons inondées. Au cours de la fin de semaine, pas moins de 1150 résidences ont ainsi été visitées. À chacune, une cote a été attribuée en fonction des dommages, mais surtout de la dangerosité pour ses occupants. Cette première étape terminée, des équipes ont entrepris depuis mardi une inspection plus en profondeur des maisons. Un agent de prévention du SIM vérifie si la maison pose un risque d'incendie, un électricien évalue si le système électrique est en état ou si l'on doit couper le courant, un inspecteur en construction valide l'état de la structure, un employé de la Santé publique s'assure que les moisissures ne représentent pas de danger, tandis qu'un policier sociocommunautaire offre de l'aide psychologique aux sinistrés.

« CODE ROUGE »

« CODES ROUGES » (85) : L'inspection de ces maisons a déterminé qu'elles sont inhabitables. « Pour beaucoup, c'est des problèmes de structure. Des bâtiments n'ont pas de fondation, elles sont sur des blocs qui, avec l'eau et les mouvements de sol, ont bougé. On voit des poutres qui ont bougé, des fissures », résume Louise Desrosiers, chef de la section prévention au SIM. Ces résidences les plus lourdement touchées ne se concentrent pas dans un seul secteur, mais se retrouvent tant à Pierrefonds qu'à L'Île-Bizard ou dans Ahuntsic.

« CODES JAUNES » (501) : Ces résidences ont besoin de travaux, mais peuvent être habitées. Le SIM, qui pense terminer l'inspection des « codes rouges » aujourd'hui, entreprendra ensuite une tournée de ces maisons pour s'assurer qu'elles ne cachaient pas de mauvaise surprise qui n'aurait pas été vue lors de la première inspection. La cinquantaine d'inspecteurs pourraient prendre jusqu'à mardi prochain pour évaluer toutes les résidences.

« CODES VERTS » (560) : Les domiciles sont en bonne condition. Ils ne feront pas l'objet d'un suivi.

AIDE PSYCHOLOGIQUE

Le SIM a décidé de concentrer ses efforts sur les maisons les plus lourdement endommagées. L'opération est longue, puisque les citoyens sont souvent sous le choc devant l'ampleur des dommages à leur résidence. « On ne peut pas juste arriver, évaluer leur maison et dire aux gens de sortir. Les gens ont besoin de parler, et on les écoute », dit Louise Desrosiers. Malgré l'épreuve qui la force à vivre chez des amis depuis deux semaines - et elle ne sait pas pour combien de temps encore -, Yannick Bazile a refusé l'aide psychologique proposée. Elle dit garder le moral, même si elle a reçu hier une lettre de son assureur lui confirmant qu'il ne couvrirait pas ses dommages. « Je suis correcte. Je vis avec mon mal. Je suis chrétienne, alors Dieu peut m'aider à me relever », dit la femme, qui ignorait qu'elle était à risque d'inondation.

REFUS DE PARTIR

Quand un inspecteur lui dit qu'il ne devrait pas vivre dans sa maison, infestée de moisissures, Al Burr le fixe d'un air résigné. « Je comprends ce que vous me dites. Mais j'ai déjà tellement de problèmes de santé que ça ne me dérange pas. Je préfère être chez moi. » Son sous-sol a été plongé sous l'eau deux jours à peine, mais les moisissures ont rapidement proliféré, à tel point que des murs en sont couverts. Dès qu'on descend dans sa maison, l'odeur prend au nez, malgré le masque que toute personne doit porter en entrant. Al Burr est l'un des rares à refuser de partir ; Louise Desrosiers précise que la majorité des gens ont obtempéré à l'avis émis à la suite de l'inspection de leur résidence.

AIDE COMPLEXE

Al Burr a pratiquement tout perdu dans les inondations. Et devant les factures qui s'accumulent, son compte en banque est déjà à sec. Hier matin, il s'est rendu à la quincaillerie pour acheter des masques et des gants de caoutchouc pour entreprendre le nettoyage, mais il n'avait pas assez d'argent. Il a dû mettre le tout sur sa carte de crédit, mais il ignore comment il en payera le solde. Ses vêtements étant bons pour la poubelle, il a demandé l'aide de la Croix-Rouge pour en acheter de nouveaux. Al Burr attend désespérément l'aide financière promise par les autorités, mais admet se sentir perdu. Il sort de sa poche son téléphone pour nous montrer la marche à suivre que lui a envoyée son arrondissement pour toucher un chèque. « Le document pour comprendre le programme d'aide fait 42 pages. C'est comme un livre ! Je n'ai pas le temps de lire tout cela », se désole-t-il.

OPÉRATION NETTOYAGE

Pendant que les sinistrés regagnent peu à peu leur domicile, l'opération nettoyage est bien amorcée. Les arrondissements touchés ont entrepris d'enlever des rues les piles de détritus que les gens jettent. Les soldats ont commencé à démanteler des digues temporaires érigées durant la crue des eaux. À Laval, plus de 200 bénévoles se sont manifestés pour participer à une corvée de nettoyage qui aura lieu en fin de semaine. Ils viendront prêter main-forte aux 500 employés des travaux publics de la Ville qui s'affaireront au cours du week-end.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Deux semaines après avoir vu sa maison inondée, Yannick Bazile était encore sous le choc, hier, à l'occasion de la visite des inspecteurs de la Ville de Montréal.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Au cours de la fin de semaine dernière, pas moins de 1500 résidences ont été visitées par les inspecteurs de la Ville.