La Ville de Montréal élargit son offensive contre les entreprises qui auraient pris part à la collusion dans les années 1990 et 2000. Au-delà des entrepreneurs en construction et des firmes de génie, la métropole a maintenant des firmes de cautionnement dans le collimateur. Elle compte réclamer à certaines un remboursement, estimant qu'elles ont joué un rôle « essentiel » dans le partage des contrats, a appris La Presse.

RÔLE DES FIRMES DE CAUTIONNEMENT

En novembre 2015, la Ville de Montréal a fait parvenir 380 mises en demeure à des entreprises pour leur demander de prendre part au programme de remboursement volontaire mis en place dans la foulée des travaux de la commission Charbonneau. Il s'agissait essentiellement d'entrepreneurs en construction et de firmes de génie soupçonnés d'avoir participé au stratagème de partage des contrats qui aurait sévi au moins du milieu des années 1990 à 2011. Mais les soumissions de complaisance qui servaient à truquer les appels d'offres n'auraient jamais pu être déposées sans cautionnement. Tous les entrepreneurs souhaitant déposer une soumission sont tenus d'obtenir un cautionnement, soit une garantie que les travaux vont être bien exécutés même si l'entreprise venait à faire défaut. La facture du cautionnement représente généralement 10 % du coût estimé des travaux.

« CAUTIONNEMENTS DE COMPLAISANCE »

Montréal soupçonne fortement que des firmes ont accordé des cautionnements de complaisance. « La preuve recueillie à ce jour démontre que des firmes de cautionnement et des courtiers, agissant comme intermédiaires, prenaient part au système en octroyant des cautionnements de soumissions à des entrepreneurs alors qu'ils savaient ou auraient dû savoir que ces entrepreneurs n'obtiendraient jamais les contrats en cause », peut-on lire dans un document obtenu par La Presse. Montréal dit d'ailleurs avoir noté que certaines firmes accordaient des cautionnements allant au-delà de leur marge de financement. « Sur la base des informations connues à ce jour par la Ville, il appert que des compagnies de caution ont participé au système de soumissions truquées qui existait sur le territoire montréalais », poursuit le document.

AVOCATE EN RENFORT

Montréal veut maintenant obtenir un remboursement de ces firmes « qui participaient directement » au stratagème. La Ville souhaite inciter ces entreprises, qui ne sont pas nommées, à participer au programme de remboursement volontaire. Les procureurs de la Ville étant débordés par les nombreuses causes déjà en cours, la métropole a donc retenu les services d'une avocate externe pour ce mandat. Il s'agit de Me Eleni Yiannakis, du cabinet Irving Mitchell Kalichman. Celle-ci a déjà travaillé sur d'importants dossiers de réclamations pour la Ville, notamment contre Hexagone et Catania. La Ville dit avoir été impressionnée par son travail. En plus d'inciter les firmes de cautionnement à rembourser, il faudra préparer des réclamations en justice en cas de refus.

RAPPORT DE LA CEIC

Le rôle présumé des firmes de cautionnement dans le stratagème de la collusion a été abordé lors des travaux de la commission Charbonneau (CEIC). Le rapport définitif de la CEIC évoque le cas de l'entrepreneur Lino Zambito qui avait confié à son courtier d'assurance que la possibilité qu'il remporte un appel d'offres était inférieure à 1 %. « Ces propos suggèrent que Zambito pourrait avoir profité d'un cautionnement de complaisance de la part de son courtier », ont écrit les commissaires. La question du cautionnement était névralgique pour les entrepreneurs qui faisaient des soumissions de complaisance. « Il y a une limite qu'ils ne peuvent pas dépasser. Autrement dit, s'ils multiplient les soumissions de complaisance, ils risquent d'atteindre cette limite et d'avoir des difficultés à obtenir des cautionnements pour de "vraies" soumissions et, par conséquent, des contrats », notait la CEIC.

COUP DE SEMONCE

Ce nouveau front ouvert par Montréal n'étonne pas Danielle Pilette, spécialiste de la gestion municipale de l'UQAM. « La Ville veut probablement assainir ce système, faire en sorte que ces firmes ne donnent pas du cautionnement au-delà de leur capacité de financement », dit-elle. Lancée tardivement, à moins de deux mois de la date limite pour s'inscrire au programme de remboursement volontaire, cette démarche peut être perçue comme un de coup de semonce de la Ville de Montréal, croit Mme Pilette. « C'est probablement préventif, un message qu'on leur envoie. Peut-être qu'on ne réussira pas à prouver ce qui est arrivé dans le passé, mais on leur dit qu'on les a à l'oeil pour le futur », dit-elle.