La tuerie au bar Pulse d'Orlando devrait servir de signal d'alarme pour Montréal et pousser son service de police à permettre à ses citoyens de contacter le 9-1-1 par messagerie texte, dit Projet Montréal. Et alors que l'on commémore aujourd'hui le 10e anniversaire de la tuerie du Collège Dawson, l'opposition à l'hôtel de ville demande que la métropole prenne ce virage pour permettre aux gens de lancer un appel à l'aide tout en gardant le silence. Explications.

La tragédie du Pulse

Le 12 juin, Mina Justice reçoit en pleine nuit un message texte troublant de son fils. « Maman, je t'aime. Il y a une fusillade au club. Je suis coincé aux toilettes. SVP, appelle la police. Au Pulse. Au centre-ville. Je vais mourir. Appelle-les maintenant. Il s'en vient. » Comme plusieurs clients du bar gai, Eddie Justice s'était réfugié aux toilettes de la boîte de nuit et craignait de révéler sa présence au tueur en appelant directement les secours. Mais comme dans la majorité des villes américaines, la centrale 9-1-1 d'Orlando ne reçoit pas encore les appels de détresse par messagerie, si bien que l'homme de 30 ans a dû se tourner vers sa mère pour joindre les policiers. Malheureusement pour lui, les secours sont arrivés trop tard.

Modernisation

Depuis la tuerie du Pulse, plusieurs villes américaines ont entrepris de moderniser leur système 9-1-1 pour enfin recevoir les messages texte. C'est notamment le cas à Philadelphie, qui a annoncé cet été qu'elle moderniserait son système pour accepter ces appels par messagerie. Projet Montréal croit que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) devrait lui aussi entreprendre cette transition. À la prochaine réunion du conseil municipal, l'opposition officielle déposera une motion pour demander au corps policier de se pencher sur la question, a appris La Presse. « Je ne sais pas pourquoi on ne l'a pas encore implanté. Je ne veux pas blâmer qui que ce soit, on est conscients qu'il y a des coûts, mais il n'y a pas de coût à sauver des vies », dit l'élu François Limoges.

Crier en silence

Projet Montréal estime que les messages textes pourraient s'avérer utiles dans des situations comme la tuerie du Collège Dawson, dont on commémore aujourd'hui le 10e anniversaire. « Le 9-1-1 sauve des vies, mais il y a un nombre incalculable de situations où la vie d'une personne peut être menacée sans qu'elle puisse parler. On peut penser au cas d'Orlando, où le bruit dans une boîte de nuit est trop fort. Il y a le cas d'une personne bâillonnée ou encore une victime de violence conjugale qui se trouve dans la même maison que son agresseur. Le message texte a l'avantage d'être silencieux », souligne François Limoges.

Un service limité

Depuis le 1er juin, un service par texto existe à Montréal. Baptisé T9-1-1, il est réservé uniquement aux personnes sourdes, malentendantes ou avec un trouble de la parole. Testé en 2012 dans quelques villes canadiennes, ce système a depuis été étendu à l'ensemble du pays. Les utilisateurs doivent toutefois s'inscrire au préalable, ce qui peut représenter un frein important lors d'une situation d'urgence. Le SPVM indique ne pas avoir de plan pour recevoir les appels de détresse par texto et qu'il revient plutôt au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de trancher la question.

Utile et efficace

Recevoir des appels de détresse par texto s'est avéré utile et efficace, assure à La Presse le gestionnaire de la centrale 9-1-1 du comté de Chester, en Pennsylvanie, qui reçoit depuis un an les urgences par message texte. Le service dit avoir déjà reçu 200 de ces appels à l'aide par écrit. Du lot, 12 étaient pour des situations de vie et de mort dans lesquelles la victime ne pouvait parler à voix haute, rapporte John Haynes, directeur adjoint de la centrale 9-1-1 du comté de Chester. Une jeune femme victime de violence domestique a récemment dénoncé par texto son copain violent alors que les deux se trouvaient assis sur le même divan. Les policiers ont arrêté l'homme sans jamais que celui-ci soupçonne le cri de détresse lancé par sa copine qui se trouvait tout juste à côté de lui. Dans un autre cas, un conducteur Uber a réussi à contacter les policiers pour dénoncer des passagers qui le menaçaient alors qu'ils se trouvaient sur sa banquette arrière.

Conduite en état d'ébriété

Les appels de détresse par texto servent fréquemment dans des situations où des personnes n'osent pas confronter directement un contrevenant. La majorité des dénonciations enregistrées dans le comté de Chester concernent des cas de conduite en état d'ébriété, rapporte John Haynes. Des passagers profitent du système pour contacter en toute discrétion les policiers afin de rapporter que leur conducteur est saoul ou sous l'influence d'une drogue. Il est ainsi récemment arrivé qu'un enfant dénonce l'un de ses parents qui avait pris le volant avec quelques verres de trop dans le nez.

Pas si coûteux

Alors que plusieurs craignent les coûts et de voir les temps de réponse s'allonger, John Haynes se fait rassurant. D'abord, les 200 messages textes reçus depuis un an ne représentent qu'une infime portion des appels vocaux. Le responsable assure que mettre en place un système permettant de recevoir les messages textes ne coûte pas une fortune. Sa centrale utilise depuis un an une application en ligne gratuite. Son service compte se munir d'un système plus élaboré qui sera intégré au rester du système de téléphonie, ce qui coûtera au plus quelques milliers de dollars par mois.

Dernier recours

L'utilisation de la messagerie texte pour rapporter une urgence est - et devrait toujours demeurer - une solution de dernier recours, prévient toutefois John Haynes. « Appelez si vous le pouvez, textez sinon », ont d'ailleurs adopté comme slogan les quelque 650 centrales 9-1-1 ayant pris ce virage aux États-Unis. John Haynes insiste sur l'importance d'appeler de vive voix de préférence parce qu'il est plus facile pour les répartiteurs d'obtenir des réponses précises et rapides. Par texto, il faut parfois plusieurs échanges pour obtenir certains détails cruciaux. Le responsable recommande notamment d'éviter les abréviations ou les émoticônes dans ses messages. « Il faut être spécifique, répondre aux questions que le répartiteur pose, demeurer succinct », résume M. Haynes.