Le ministre des Transports Jacques Daoust envisage de restreindre le transport des matières dangereuses pendant les heures de pointe, au lendemain du spectaculaire accident qui a coûté la vie au chauffeur d'un camion-citerne sur l'autoroute Métropolitaine, mardi après-midi.

«On a une situation à revoir avec des lunettes de 2016», a reconnu le ministre en entrevue. «Ça pourrait être que de 6h à 10h et l'après-midi, de 15h à 19h, ils n'ont pas le droit. Il faut le regarder. Il faut évaluer la dangerosité sur le réseau.»

Le ministre entend aussi réviser les endroits sur le réseau où les matières dangereuses sont carrément interdites. C'est notamment le cas dans le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. «Il y a les heures, mais il y a aussi les trajets à regarder, les endroits où tu ne peux pas circuler», a ajouté Jacques Daoust.

L'économie de Montréal doit aussi être prise en compte, précise toutefois le ministre. Il souligne qu'une raffinerie se trouve dans l'est de l'île et qu'une partie de sa production doit être transportée par la route. 

«Cette voie [Métropolitaine] est la seule est-ouest sans interruption. On les fait passer où s'ils ne passent pas là?» - Jacques Daoust, ministre des Transports du Québec

L'ingénieur spécialisé en circulation Ottavio Galella se pose la même question. Il juge peu réaliste d'essayer de bannir les camions-citernes et autres véhicules de transport des matières dangereuses aux heures d'affluence. «La vocation de l'autoroute Métropolitaine, qui fait partie de la Transcanadienne, est d'assurer le transport des marchandises 24 heures sur 24, souligne-t-il. Ce n'est pas une bonne idée, car on n'a pas d'autre axe dans l'île de Montréal.»

Approche proactive

Le moment où l'accident de mardi s'est produit reste néanmoins un détail capital, selon Vedat Verter, professeur de gestion opérationnelle à la faculté de gestion Desautels de l'Université McGill. «La première chose qui m'a sauté aux yeux en lisant les manchettes, c'est que c'est arrivé à l'heure de pointe.»

«On peut adopter deux types d'approches pour ce type d'accident», note le spécialiste du transport des matières dangereuses. «Une approche réactive - et il semble que les pompiers et services d'urgence aient bien fait leur travail - ou une approche proactive, qui nous pousse à nous demander ce qu'un camion-citerne faisait là en pleine heure de pointe.»

Le genre d'interdit auquel songe le ministre Daoust peut toutefois avoir un coût important pour les entreprises de transport et leurs clients, reconnaît M. Verter. C'est une donnée que les autorités devront mettre dans la balance avec le risque, somme toute très faible, d'un accident routier impliquant des matières dangereuses - de l'ordre de 1 par 10 millions de kilomètres parcourus, dit-il.

Le PQ pour l'interdiction

Pour le Parti québécois, la cause est entendue: le transport de matières dangereuses, comme le diesel et le pétrole, devrait être interdit aux heures de pointe, en particulier sur l'autoroute Métropolitaine. «C'est un geste à court terme qu'on doit regarder absolument», affirme la députée Martine Ouellet.

La porte-parole en matière de transports propose également d'éviter que les matières dangereuses qui ne sont pas destinées au marché local montréalais ne transitent par l'autoroute Métropolitaine. «Est-ce qu'on ne devrait pas avoir des voies de contournement?» se demande-t-elle. Elle exhorte le gouvernement à tenir un audit sur le transport du pétrole et des matières dangereuses au Québec, piloté par un comité de fonctionnaires du ministère des Transports et d'experts externes.

Réticences de l'industrie

La perspective d'être bannie de certaines routes à l'heure de pointe ne plaît guère à l'industrie. «Il faut comprendre qu'il faut livrer durant les heures d'affaires, a dit le président de l'Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux, en entrevue au 98,5 FM. Aujourd'hui, les périodes de pointe ne sont plus ce qu'elles étaient, elles sont beaucoup plus longues. Et si on se soustrait à ces périodes, il ne restera plus grand temps.»

Cela dit, les transporteurs, qui font face à la multiplication des chantiers et des contournements, évitent déjà le plus possible les heures de pointe, a-t-il précisé à La Presse. «Pour nous, c'est de l'argent perdu. Nos heures sont réglementées. Un chauffeur qui n'avance pas avec son voyage, ses heures s'enregistrent, et rendu à l'autre bout, il ne reste plus assez d'heures pour finir son voyage. Il va devenir illégal et va devoir s'arrêter.»

Montréal n'a rien fait

La Ville de Montréal avait envisagé il y a près de 10 ans déjà d'imposer «dans les secteurs sensibles et vulnérables du territoire de l'agglomération» des restrictions horaires au transport de matières dangereuses. L'engagement figurait dans le Plan de transport 2008-2012, un volumineux document publié à l'époque où Gérald Tremblay était maire de Montréal. La Ville, qui n'a pas compétence sur les autoroutes comme la Métropolitaine, ne semble toutefois jamais y avoir donné suite. Le bilan du plan quinquennal, publié en 2012, note que «les interventions prévues dans ce volet ne se sont pas concrétisées». Le maire Denis Coderre a refusé hier de commenter, se bornant à indiquer qu'il fallait y aller «étape par étape» et qu'il aurait «l'occasion de faire d'autres conférences de presse».