Le gouvernement fédéral a versé plus de 10 millions de dollars en compensation aux soumissionnaires non retenus pour la construction du nouveau pont Champlain, a appris La Presse.

Infrastructure Canada, organisme fédéral chargé de coordonner le projet, affirme que ces paiements sont pratique courante dans des appels d'offres pour ce type de projets menés en partenariat public-privé (PPP).

Mais certains, dont le Nouveau Parti démocratique (NPD), se disent surpris de l'existence et de l'ampleur de ces sommes, et critiquent le manque de transparence d'Ottawa dans ce dossier.

« Le montant surprend et on ose croire que, normalement, les soumissionnaires seraient responsables des coûts associés à leur soumission », affirme Matthew Dubé, député néo-démocrate.

Selon des informations publiées la semaine dernière sur le site web d'Infrastructure Canada, cinq paiements, de sommes allant de 650 000 $ à 5,8 millions, ont été faits le 15 septembre à des entreprises ainsi qu'à un consortium rejetés dans l'appel d'offres.

Le contrat, d'une valeur évaluée entre 3 et 5 milliards de dollars, a été accordé en avril au Groupe Signature sur le Saint-Laurent, un consortium dont fait partie SNC-Lavalin. Les soumissions des deux autres consortiums invités à présenter une proposition ont été écartées. Il s'agit de Partenariat Nouveau Pont Saint-Laurent, qui inclut la firme Dessau, et de L'Alliance Saint-Laurent, formé d'une dizaine d'entreprises dont Kiewit, Aecon, Macquarie et Skanska.

« Le paiement d'honoraires aux proposants non retenus est une pratique courante dans le processus de sélection d'un partenaire privé afin de compenser les coûts de préparation de la proposition et le transfert des droits de propriété intellectuelle au partenaire public », a déclaré James Chow, porte-parole d'Infrastructures Canada.

UNE PRATIQUE COURANTE, MAIS CONTROVERSÉE

Des experts interrogés par La Presse ont indiqué que ce type de compensations peut en effet être versé dans certaines circonstances : pour des projets vastes et complexes, par exemple, qui demandent des investissements considérables de temps et d'argent.

« Le but recherché est d'inciter les entreprises à s'intéresser aux appels d'offres et à y déposer des soumissions », explique Andrée De Serres, professeure à l'ESG UQAM et titulaire de la chaire Ivanhoé Cambridge d'immobilier.

À titre d'exemple, les soumissionnaires écartés dans le cadre des appels d'offres pour les PPP des centres hospitaliers des universités de Montréal (CHUM) et McGill (CUSM) se sont partagé une somme de 17,5 millions.

L'existence de ces paiements dans le dossier du pont Champlain a néanmoins fait sourciller des sources au sein du gouvernement, qui craignent que cette approche se propage à un trop grand nombre d'appels d'offres et n'engendre un gaspillage des fonds publics.

Matthew Dubé, du NPD, convient que « la pratique est peut-être valide », mais que trop peu d'explications ont été fournies par le gouvernement pour justifier un tel paiement. « Le [nouveau] gouvernement libéral a une belle opportunité de démontrer un peu plus de transparence », a-t-il dit.

Infrastructure Canada a répondu à La Presse que ces informations avaient été rendues publiques à la page 49 de la Demande de propositions, un document technique de plus de 200 pages distribué en juillet 2014, et qui prévoyait que les soumissionnaires écartés pourraient être dédommagés à hauteur de 5 millions de dollars à certaines conditions.

L'organisme fédéral nous a aussi dirigés vers un rapport du Conseil canadien pour les PPP, qui justifie le recours à cette pratique. Des représentants de deux des entreprises qui ont été indemnisées, Kiewit et Macquarie, siègent à son conseil d'administration.

- Avec William Leclerc

Les entreprises dédommagées

PARTENARIAT NOUVEAU PONT SAINT-LAURENT : 5,8 millions

CONSTRUCTION KIEWIT : 3,7 millions

KIEWIT CANADA DÉVELOPPEMENT : 671 000 $

MACQUARIE CAPITAL PRINCIPAL : 671 000 $

SKANSKA INFRASTRUCTURE DÉVELOPPEMENT : 671 000 $