«Préservation», «mise en valeur», «richesse patrimoniale», «découvertes archéologiques», «importance historique». Les politiciens n'avaient que des bons mots pour les vestiges du village des Tanneries, dimanche. Pourtant, quelques instants plus tôt, des experts du gouvernement venaient tous juste d'expliquer que le site serait bel et bien détruit et les sols complètement remplacés pour y accueillir une nouvelle route du futur échangeur Turcot.

C'est que les ministres ont d'abord laissé les questions reliées à la destruction du site aux experts des ministères des Transports et de la Culture. Les ministres Robert Poëti et Hélène David accompagnés du maire de Montréal Denis Coderre se sont plutôt concentrés sur l'annonce de la création d'un comité qui sera chargé de trouver un projet pour mettre en valeur les 150 caisses d'artéfacts récupérées sur le site. Un relevé 3D des structures sera également réalisé en guise de «mémoire virtuelle».

«La composante archéologique du projet Turcot a toujours été traitée avec beaucoup de rigueur depuis 2008, a déclaré le ministre des Transports Robert Poëti. À ce jour, une somme de 1,6 million a été investie pour réaliser des inventaires, études et fouilles pour l'ensemble du projet.»

On parle de vestiges de bâtiments, d'outils de travail des tanneurs, ou d'objets de la vie quotidienne datant de la fin du 18e siècle, du 19e et du 20e siècle. Frank Rochefort, archéologue au ministère des Transports du Québec (MTQ), a souligné que les occasions de fouiller une tannerie artisanale ne sont pas nombreuses. Son collègue Jean-Jacques Adjizian, directeur de l'archéologie au ministère de la Culture, a toutefois parlé d'un site «comparable à d'autres au Québec.»

Dans une lettre adressée au maire de Montréal obtenue par La Presse, l'Association canadienne d'archéologie plaide de son côté que cette destruction serait «gênante» et «dommageable». «Il n'y a en effet aucun site comparable et jamais on ne pourra le recréer une fois détruit» peut-on lire.

«Sols instables»

Stéphan Deschênes, directeur du projet Turcot au ministère des Transports, a toutefois expliqué que la destruction archéologique s'impose en raison de la qualité de sols. En plus de la nouvelle route prévue dans l'infrastructure Turcot, un collecteur des eaux usées pour 140 000 ménages doit aussi traverser le secteur. Or les sols y sont instables et marécageux et doivent donc être retirés et remplacés avant d'entreprendre ces constructions. «Sinon les sols ne seraient pas en mesure de soutenir l'infrastructure», a-t-il indiqué.

«Est-ce qu'on a été capable de trouver un équilibre entre la protection du patrimoine et la diffusion du savoir tout en créant ce développement important qu'est Turcot. La réponse c'est oui», a ajouté le maire Coderre.

Guy Giasson, président de la Société historique de Saint-Henri, fulminait lors de la conférence de presse.

«Depuis le début, on demande que les vestiges ne soient pas recouverts et de conserver les remblais. Il n'y a pas qu'une valeur archéologique, mais aussi toute une dimension historique», a-t-il expliqué à La Presse avant de préciser que les Tanneries sont les origines du quartier Saint-Henri. «Ce n'est pas banal. Mais c'est juste Saint-Henri, c'est juste l'histoire des pauvres», soupire-t-il.

Le maire de l'arrondissement du Sud-Ouest Benoit Dorais s'est dit consterné par la décision du gouvernement et est convaincu qu'il est possible de conserver une partie des vestiges.

L'arrondissement organise un rassemblement à la chandelle lundi soir tout près du site. Le maire a reçu l'appui de Dinu Bumbaru, d'Héritage Montréal, de l'animateur Gilles Proulx et de Phyllis Lambert, directrice fondatrice émérite du Centre canadien d'architecture.