Le ministère des Transports du Québec (MTQ) n'a pas donné suite aux recommandations de ses consultants d'élargir de une à deux voies plusieurs bretelles du nouvel échangeur Turcot, en 2013, parce qu'elles auraient retardé l'attribution du contrat de construction principal et qu'elles allaient à l'encontre des conditions de réalisation du projet, fixées depuis 2010.

Selon le MTQ, l'élargissement de six des bretelles du nouvel échangeur Turcot aurait « changé complètement la conception et la configuration du projet », tel qu'autorisé en 2010 par le gouvernement du Québec, et aurait même pu entraîner des amendements au décret gouvernemental, adopté trois ans avant le dépôt de ces recommandations.

« Cela implique qu'on refasse les études de circulation et d'impacts et, probablement, une partie de la conception du projet », a souligné hier une porte-parole du Ministère, Sarah Bensadoun, en insistant sur les délais importants que ces études pourraient entraîner.

« Il aurait aussi fallu reprendre depuis le début le processus d'appel de qualifications pour le contrat principal du projet Turcot. »

« Ce processus était en cours depuis déjà quelques mois lorsque nous avons reçu ce rapport », révélé dans ses grandes lignes hier par Le Journal de Montréal.

Selon ce quotidien, le rapport a été produit à la fin de 2013 par un consortium formé des sociétés MMM, SMi et ARUP, toutes des références dans leur domaine respectif. Leur mandat principal était de produire une estimation des coûts de référence pour le Ministère, dans le cadre du processus d'attribution du contrat pour la réalisation du projet.

Le mandat prévoyait également un volet d'« optimisation » du projet de référence, où le consortium a recommandé au MTQ d'élargir six des bretelles du nouvel échangeur.

Dans l'échangeur Turcot actuel, ces six bretelles ont présentement une seule voie de circulation. Dans le nouvel échangeur conçu par le MTQ, elles en auront toujours une seule. Le consortium proposait d'en construire deux. Ces aménagements auraient été relativement peu coûteux, selon les consultants, et auraient permis de réduire la congestion, d'améliorer la sécurité des mouvements de sorties et d'entrées d'une autoroute à l'autre et la fluidité de la circulation dans l'échangeur, où circulent présentement presque 300 000 automobilistes et camionneurs chaque jour.

Enjeu majeur

Au-delà des délais causés par les études nécessaires pour valider un tel changement ou modifier un décret gouvernemental, le MTQ avait au moins une autre raison de ne pas donner suite à ces suggestions : il n'a jamais eu l'intention d'élargir ces bretelles.

Dès le début de la planification du projet de reconstruction de l'échangeur Turcot, en 2006, le ministère des Transports a mené une série d'études de circulation pour évaluer les besoins futurs sur le plan des infrastructures routières, pour conclure qu'une augmentation de la capacité de l'échangeur n'était pas nécessaire.

« Les études de 2006, affirme Mme Bensadoun, ont déterminé qu'il y avait bien des ralentissements de la circulation dans les bretelles de l'échangeur Turcot. Sauf que la source de cette congestion n'est pas liée à la capacité des bretelles, mais plutôt aux débits très forts de circulation, en aval, sur les autoroutes A15, A20 et A720. »

Le projet initial du MTQ, présenté en 2009, préconisait la reconstruction de toutes les bretelles de l'échangeur actuel et le maintien du même nombre de voies de circulation dans chaque bretelle.

Malgré ce statu quo prudent, sur le plan de la capacité routière, le projet du MTQ a quand même presque fait l'unanimité contre lui lors des consultations menées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Les villes concernées, Montréal inclus, et la population locale du sud-ouest de la métropole ont durement critiqué le MTQ parce qu'il laissait trop peu de place aux transports en commun et qu'il ouvrait la voie à des hausses de trafic importantes en pleins quartiers habités.

En 2010, dans sa nouvelle mouture du projet, le MTQ affirme avoir réduit de 15 à 25 % la capacité routière dans l'axe est-ouest du projet en y ajoutant notamment des voies réservées aux autobus. C'est cette version du projet, sans bretelles routières élargies, qui a été approuvée par le gouvernement du Québec et qui a servi de scénario de référence lors de l'attribution du contrat de réalisation du projet.

Ce contrat a finalement été attribué au consortium KPH Turcot pour la somme de 1,5 milliard, en décembre 2014.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE