Il a donné à son café et ses locaux de torréfaction le nom de son quartier, celui qu'il avait choisi et aimé à l'époque où le secteur était encore excentrique. Mais depuis quelque temps, le propriétaire du café Saint-Henri, dont le loyer vient soudainement de tripler, ou presque, trouve la vie dure dans ce quartier du sud-ouest de Montréal.

Le propriétaire de Saint-Henri micro-torréfacteur, Jean-François Leduc, a annoncé la nouvelle sur sa page Facebook il y a quelques jours : les loyers de Saint-Henri ont tellement augmenté que son café homonyme, qui a pignon sur la rue Notre-Dame, doit trouver un nouvel endroit où se loger.

« Il y a quelques semaines, un Tim Hortons ouvrait les portes à un coin de rue du café Saint-Henri. Aucun rapport avec notre entreprise, me suis-je dit. Sauf que voilà : le loyer payé par Tim Hortons est maintenant devenu un barème pour le renouvellement de notre bail... et nous ne serons pas en mesure de payer un loyer tel que Tim Hortons en est capable », a annoncé Jean-François Leduc aux 2000 personnes qui « aiment » sa page Facebook.

En clair, le propriétaire du local loué par le café et sa maison de torréfaction a imposé une augmentation de loyer de 40 000 $ par année, et la hausse de taxes est à l'avenant.

Le statut Facebook de Jean-François Leduc a été vu par 50 000 personnes. Plusieurs ont dénoncé, une fois de plus, l'embourgeoisement du quartier. Une situation ironique, puisqu'à son ouverture, le café Saint-Henri a lui-même été la cible d'actes de vandalisme parce qu'on lui reprochait de contribuer à embourgeoiser le quartier.

« Quand on m'avait montré du doigt en parlant de "gentrification", j'avais répondu en disant : on parlera de "gentrification" quand de grandes chaînes viendront remplacer des petits commerces et que les artères perdront de leur spécificité », se souvient l'entrepreneur de 36 ans. 

Jean-François Leduc en a vu d'autres. Au début des années 2000, il a abandonné sa carrière d'avocat pour aller travailler dans un café au salaire minimum. Au fil des ans, cependant, il s'est inquiété de voir ses employés quitter le quartier Saint-Henri parce que leur salaire ne leur permettait plus d'y vivre.

Aujourd'hui, il s'inquiète encore, cette fois en raison d'une réalité qu'il qualifie d'« implacable », et qui veut que de petites entreprises « préparent le terrain » à de grandes chaînes, qui débarquent au même rythme que se développent les projets de construction de condominiums.

« Ce qui est délicat dans le quartier, c'est qu'il y a de plus en plus de commerces qui ouvrent, mais qui ne s'adressent pas nécessairement à la clientèle locale, qui ne peut pas se permettre d'y aller », observe-t-il. À Saint-Henri, un ménage de locataires sur dix consacre plus de 80 % de ses revenus au loyer.

Pour l'instant, Jean-François Leduc a signé un bail d'un an, qui prend fin le 31 mai 2016. Pour la suite, il songe à déménager la torréfaction et tenter de garder son café dans le quartier auquel il doit son nom. « Je ne peux pas déménager du jour au lendemain : ce n'est pas tous les locaux qui peuvent accueillir un torréfacteur », souligne l'amoureux du café... dont l'amour pour Saint-Henri demeure intact, malgré tout.

À quand des mesures concrètes?

En septembre 2014, Projet Montréal a déposé une motion visant à « encadrer les hausses de baux commerciaux ». Elle a été adoptée à l'unanimité, et la Commission sur le développement économique et urbain et l'habitation a été chargée d'étudier « l'évolution des hausses de loyers pour les commerçants, leurs conséquences sur l'économie de Montréal et les solutions pour les limiter ». Près d'un an plus tard, la Commission ne s'est toujours pas penchée sur la question, a admis le maire Denis Coderre, hier. « [Dans les négociations avec Québec pour obtenir le statut de métropole], je veux rapatrier ce qui touche l'habitation », a déclaré le maire, en assurant que son administration souhaite encourager le développement économique des quartiers. Chez Projet Montréal, le conseiller Craig Sauvé évoque « plusieurs pistes à explorer ». « Peut-être pourrions-nous aider les commerçants à négocier les baux, créer des modèles de baux types offerts aux commerçants, revoir les clauses de renouvellement. » « Les hausses radicales et rapides de loyer apportent de l'incertitude sur les artères commerciales », a-t-il souligné, en rappelant l'exemple de la boutique ERA Vintage wear, qui a elle aussi été contrainte de quitter ses locaux de la rue Notre-Dame, dans Griffintown, puisque sa propriétaire était devenue incapable de payer le loyer.