Stéphane Marceau se décrit comme un « artiviste ». Il fait du street art, ou art urbain, depuis une vingtaine d'années.

Il parle comme il peint. Abondamment, « en spray », en noir et blanc, et en couleur.

Une rumeur underground veut qu'il soit l'auteur du dessin montrant le commandant du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Ian Lafrenière, avec une balle dans le front.

La Presse lui a posé la question.

« Semblerait-il que c'est moi. Je sais que c'est mon nom qui circule », a admis Marceau.

Mais il ne va pas au-delà de ce constat.

« Admettre ça, c'est se ramasser devant un tribunal pour les cinq prochaines années. Personne ne va admettre ça. C'est un méfait public. »

Le cas Pawluck

Une femme de 22 ans, Jennifer Pawluck, a été déclarée coupable de harcèlement criminel en Cour du Québec, la semaine dernière, pour avoir photographié et mis en ligne le dessin en question, sur son compte Instagram, en 2013. Ce qui a pesé lourd dans son cas, ce sont les mots-clics qu'elle y avait associés, ainsi que ceux d'une autre de ses publications, comme « un flic, une balle ».

M. Marceau trouve « affreux » que la jeune fille ait été accusée et condamnée pour ça. Il considère que toute cette affaire est une « insignifiance » dans les deux sens. Mme Pawluck a charrié, et l'État aussi. Le dessin était symbolique, elle l'aurait pris au premier degré. Quant à l'État, il aurait déployé son arsenal pour écraser une mouche.

L'auteur du graffiti ne visait pas M. Lafrenière en tant qu'individu, mais pour ce qu'il représente, croit M. Marceau. Il trouve même que l'image était « banale ». M. Lafrenière parle pour les policiers du SPVM, il peut s'attendre à être critiqué, selon lui.

« Je ne suis pas d'accord avec son geste à elle [Jennifer Pawluck]. Je suis d'accord avec l'art », ajoute-t-il.

Pierre Trudel, avocat et professeur de droit à l'Université de Montréal, signale que la disposition du harcèlement a été introduite dans le Code criminel pour protéger des gens qui, habituellement, se connaissent. Par exemple, d'ex-conjoints ou d'ex-employés. On commet le crime lorsqu'on ne se soucie pas de savoir que la personne visée pourrait se sentir harcelée.

« L'étendre comme on essaie maintenant de le faire à tout message que quelqu'un voudrait diffuser à l'égard de personnalités publiques, je pense que ça pose un sérieux problème en terme de liberté d'expression, » dit-il.

Il est à noter que Mme Pawluck pourrait interjeter appel de son jugement. Ce n'était pas encore décidé, a indiqué hier son avocate, Me Valérie de Guise.

L'art de la rue en cachette

Stéphane Marceau est un grand-père de 43 ans. Mais il en a 16 quand il se retrouve devant un mur, la nuit, avec ses bonbonnes de peinture et Bakoo, sa chienne qui l'accompagnait partout. Le but du graffiti, c'est d'attirer l'attention, pour passer un message ou dénoncer quelque chose.

« L'image est rapide. On veut que les gens qui passent en automobile, ça fasse paf ! Comme un pop-up. »

Attirer l'attention sur le dessin, mais pas sur soi pendant le travail, laisse entendre le graffiteur.

Il faut travailler vite pour pratiquer l'art de l'éphémère. De crainte d'être photographié, dénoncé, accusé. Stéphane Marceau admet qu'auparavant, il lui arrivait de mettre une cagoule. Il l'a rangée, en raison des amendes qui peuvent venir avec, précise-t-il.

PHOTO TIRÉE DE L'INTERNET

Le graffiti du commandant du SPVM en question a été trouvé en mars 2013, sur un mur à l'angle des rues Ontario et Jeanne-D'Arc.

Qui est Stéphane Marceau?

Stéphane Marceau se voit comme un anarchiste qui vit une « vie parfaitement normale avec tout le côté weird ». Il affirme avoir fait un bac en soins infirmiers à l'Université de Montréal, et avoir travaillé quelques années dans des hôpitaux. Mais il n'était pas fait pour les horaires fixes.

Il est devenu activiste et artiste, et affirme s'être investi dans différents mouvements, comme Sea Shepherd, le Front de libération des animaux, Occupons Montréal... Au cours des dernières années, Stéphane Marceau considère que son message s'est adouci. Il s'est mis à la peinture sur toile et signe « UBX ». Il s'occupe actuellement de son père, qui combat un cancer du poumon. 

À la fin du mois de mai, Stéphane Marceau compte exposer des oeuvres au Café l'Écarté, rue de Rouen. Il veut même en donner. Il songe à faire une oeuvre spécialement pour le commandant Lafrenière, et la lui remettre, si celui-ci veut bien l'accepter. Une sorte de « justice réparatrice ».

Pas identifié, dit le SPVM

La caricature dont il est question ici a été trouvée en mars 2013, sur un mur à l'angle des rues Ontario et Jeanne-Mance. L'auteur n'a pas été identifié au cours de l'enquête, a indiqué Laurent Gingras, porte-parole du SPVM. La police enquête, mais c'est le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui porte les accusations après avoir analysé le dossier. Si l'auteur avait été identifié, y aurait-il eu matière à accusation, et si oui, lesquelles ? Comme il s'agit d'une hypothèse, le porte-parole du DPCP, Jean-Pascal Boucher, a indiqué qu'il ne pouvait répondre à ces questions.

Extrait du jugement à l'égard de Jennifer Pawluck

Extrait du jugement rendu récemment, par la juge Marie-Josée Di Lallo à l'égard de Jennifer Pawluck.

«Voir son visage dessiné avec un trou de balle dans le front ne peut pas faire autrement que susciter la crainte, et ce même si vous être policier. 

Il y a des limites à ne pas franchir.

Lorsqu'on dessine sur une toile un slogan «un flic une balle», qui évoque une violence certaine, et qu'on prend la peine d'en publier la photo sur l'internet; et lorsqu'on prend la peine de publier une autre image d'un policier avec un trou de balle dans le front, c'est aussi l'expression d'une évidente violence.

Lorsqu'on prend la peine d'écrire le nom de ce policier de deux manières différentes. Et que l'on ne se soucie pas qu'il se sente harcelé.

On doit prendre conscience qu'un simple clic à partir de son téléphone mobile ou de son ordinateur, qui ne prend qu'une fraction de seconde, peut entraîner des conséquences. Au moment ou les médias sociaux prennent de plus en plus de place dans nos vies, il faut être d'autant plus vigilant.»