Non seulement Robert Abdallah jure qu'il n'a pas été congédié par la Ville, comme l'affirme Gérald Tremblay, mais il soutient avoir démissionné et avoir reçu environ 325 000$ en indemnités au moment de son départ*.

En entrevue à La Presse, l'ancien directeur général de la Ville de Montréal affirme qu'il n'a rien à se reprocher dans tous les scandales qui ont frappé l'hôtel de ville. Son seul défaut, dit-il, est de compter l'entrepreneur Tony Accurso parmi ses amis depuis des années.

«C'est la première fois de ma vie que je me fais traiter de tous les Robert Abdallah de la Terre, Robert Abdallah, c'est tous les bandits de la Terre. Je ne voulais pas répondre, je voulais laisser Gérald Tremblay répliquer. Mais assez, c'est assez. Je n'ai pas de squelettes dans le placard. Mon seul défaut c'est d'avoir un ami, Tony Accurso.»

Robert Abdallah n'était pas sorti de l'ombre depuis que son nom avait surgi à la commission Charbonneau, en 2012. Il avait alors convoqué les médias pour nier que, comme le prétendait Lino Zambito, il avait accepté un pot-de-vin de 300 000$.

Aujourd'hui, il rompt le silence et jure, lettres de démission à l'appui, qu'il n'a jamais été «mis à la porte», bien au contraire. Rappelons que lors d'une entrevue avec La Presse, la semaine dernière, Gérald Tremblay a déclaré avoir «mis dehors tout le monde», faisant référence à Abdallah et Bernard Trépanier, entre autres. «Ça a pris une commission d'enquête, ça va faire presque deux ans, pour dire que ça existe depuis 30 ans, avait lancé M. Tremblay. Le seul responsable de ça, semble-t-il, c'est moi. [...] Pierre Bourque [ex-maire de Montréal] n'était pas au courant. [Jean] Doré [ex-maire de Montréal] ne le savait pas lui non plus. Et moi, il aurait fallu que je sache tout?»

«Quand j'ai été à la Ville, j'ai été adulé, affirme quant à lui M. Abdallah. J'ai été traité comme la personne qui était en train d'amener l'imputabilité, la responsabilité. De corriger des choses. Quand je suis arrivé à la Ville, il n'y avait pas de modèle organisationnel, rappelez-vous.»

L'ancien plus haut fonctionnaire de la Ville, aujourd'hui à la retraite, montre à La Presse cinq originaux de lettres de démission qu'il affirme avoir remis au maire Tremblay, du 22 mars au 1er mai 2006. Il est officiellement parti en juin de cette même année. Sur l'une d'elles, qui, selon M. Abdallah, porte des ratures de la main de l'ancien maire, un passage a été modifié et un autre, où il se dit «convaincu de ne plus pouvoir agir dans le cadre du champ décisionnel qui est actuellement imparti», est rayé.

«Tout bloquait avec Gérald Tremblay, affirme-t-il. Je faisais des recommandations sur les infrastructures, sur la structure d'organisation, sur l'imputabilité pour qu'on puisse voir plus clair, mais ça bloquait. Alors ça ne marchait plus.»

M. Abdallah raconte ensuite avoir eu deux rencontres avec M. Tremblay, en janvier et février 2006, pour lui faire part du bris de lien de confiance, avant de démissionner.

«Je lui fais parvenir une première lettre le 22 mars. Il m'appelle, il me dit: "Tu ne peux pas faire ça, tu n'as pas fixé de date [de départ]." Il a dit: "J'ai des commentaires, attends la fin de l'année." J'ai dit: "Je vais te donner trois semaines, Gérald, même deux, trois mois, si tu veux." Et j'ai dit: "Je suis un gentleman, je vais écouter tes commentaires." Et là, je rédige une nouvelle lettre. Il a dit: "Tu peux pas écrire ça, enlève ça, barre ça." J'ai dit: "D'accord, je l'enlève, mais je vais partir."»

Robert Abdallah brandit également un album en cuir dans lequel sont consignés des témoignages de son équipe à l'hôtel de ville. En première page, un mot de Gérald Tremblay écrit à la main en couleur or. «Regardez, il a écrit: "Merci d'avoir inculqué à l'équipe une ardeur nouvelle face à des mutations très importantes, urgentes et d'une rare complexité."»

«Gérald Tremblay le savait»

Robert Abdallah ne «pense pas, il est convaincu» que Gérald Tremblay était parfaitement au courant de la collusion dans le milieu municipal. Il raconte que tous les lundis, il passait en revue tous les contrats avec le maire. Puis il revient sur le fameux rapport qui a déjà fait la manchette dans les médias, et qui démontrait les sommes faramineuses des contrats.

«Ce n'était pas un rapport caché, dit-il, j'ai fait faire ce rapport sur les prix trop chers, c'était à ma demande. Le service de l'approvisionnement était au courant. J'ai annulé pas loin de 40 millions de contrats, en 2005. Et Gérald Tremblay était au courant de tout.

Il affirme d'ailleurs qu'à l'époque «rien ne se fait à la Ville sans que Gérald Tremblay soit mis au courant».

«Quand je dis rien, c'est rien, rien du tout. Même pas une vision, même pas une orientation, même pas une embauche de directeur. Il dirigeait tout. Du point de vue administratif, je vous dis qu'il était au courant de tout dans les moindres détails. Du point de vue politique, c'était impossible qu'il ne sache pas. Il était du genre à m'appeler à six heures du matin pour un matelas qui traînait dans une ruelle. Il faisait de la microgestion, alors s'il le faisait là, il y a de bonnes chances.»

Puis il revient sur la quête de financement de l'ancien maire pour conserver les Championnats aquatiques (FINA), en 2005. Selon lui, M. Tremblay avait ordonné d'obtenir la liste de tous les entrepreneurs, dont Tony Accurso, pour ensuite demander à son équipe de faire aller leurs contacts afin d'obtenir du financement.

«Moi, j'ai dit non, je ne voulais pas intervenir auprès de mes contacts. Demandez à n'importe qui de démontrer le contraire, vous n'allez pas trouver», dit-il, rappelant que M. Accurso a dit devant la Commission qu'on lui avait demandé une contribution de 50 000$.

Baptême du petit-fils de Tony Accurso

L'ancien haut fonctionnaire ne cache pas sa vieille amitié avec Tony Accurso. Une amitié remontant au début de leur âge adulte, à l'époque où il était gestionnaire de projets chez Hydro-Québec. Cependant, il affirme n'être jamais intervenu auprès de ses contacts à Ville, pour le favoriser dans l'octroi du contrat des compteurs d'eau ni auprès d'Hydro-Québec.

«C'est en 2011, 2012. Il [Tony Accurso] m'appelle comme un ami, et il dit: "Robert, qu'est-ce que t'en penses? Hydro-Québec peut me barrer?" J'ai dit: "C'est impossible qu'une directrice de l'approvisionnement ait l'ordre, l'ordre doit venir de plus haut." Et j'ai dit: "Écoute, je ne peux pas intervenir, ils ne retournent pas mes appels." Quand j'ai quitté la Ville, je peux vous dire que je n'ai jamais appelé un haut fonctionnaire ni pour un dossier, pour rien. Jamais je ne suis entré en contact avec eux ni Hydro-Québec. Moi, quand je quitte, c'est fini.»

Il ne nie enfin rien de ce qui concerne les nombreux repas et voyages en compagnie de Tony Accurso.

«C'est plus qu'un ami pour moi, Tony. Il y a un mois, j'ai été au baptême de son petit-fils, et je n'ai pas à me cacher de ça. Lisa, sa fille, je l'ai gardée sur mes genoux quand elle avait trois ans, et j'étais là quand il s'est séparé de sa femme», dit-il.

«Oui, il a payé le billet d'avion pour Las Vegas en 2006, poursuit-il. Je ne me cache pas, et je ne m'en cache pas. Un billet d'avion pour Las Vegas, ça coûte 200 piastres. Ça m'a coûté 7335$ sur ma carte de crédit, je peux vous montrer les preuves. Pour lui, c'est rien, pour moi, c'est beaucoup. Nous sommes entre amis, c'est du donnant-donnant, c'est selon nos moyens, on ne se pose pas ces questions-là.»

L'ancien DG reproche à la commission Charbonneau de ne pas avoir demandé «plus de preuves».

«Avec tout le travail que j'ai fait à la Ville, après tous les efforts, on veut absolument me descendre dans les plus bas fonds. Je ne me laisserai pas faire. Je mets au défi tous les fonctionnaires de prouver le contraire. On peut m'accuser d'un seul point, c'est d'être ami avec Tony Accurso. La commission Charbonneau n'a pas juste écorché des réputations, elle a détruit des réputations.»

*Après vérifications auprès de la Ville de Montréal, La Presse a obtenu la somme qui a été versée à M. Abdallah après son départ: 329 572$.