Le maire de l'arrondissement de Saint-Laurent a un rituel chaque fois qu'un cycliste ou un piéton meurt sous les roues d'un camion à Montréal: il sort sa plume pour réclamer à Québec et à Ottawa de rendre obligatoires les protecteurs latéraux sous les véhicules lourds. Faute d'avoir réussi à les convaincre, Alan DeSousa invite maintenant les autres maires de l'île à l'imiter et à donner l'exemple en sécurisant leurs propres camions.

Depuis 2012, Saint-Laurent a entrepris d'installer sous ses camions des protecteurs latéraux, aussi appelés jupettes. Déjà 25 véhicules lourds ont été sécurisés; les 8 derniers devraient l'être d'ici à la fin de l'année. «Je ne peux pas demander aux autres de faire ce qu'on ne fait pas nous-mêmes», résume Alan DeSousa.

Les protecteurs latéraux sont obligatoires en Europe depuis 30 ans, mais tardent à s'implanter en Amérique du Nord. Le concept est pourtant simple: il s'agit de combler le vide entre les essieux des véhicules par des tiges en aluminium pour éviter qu'un cycliste ou un piéton y tombe et passe sous les roues arrière. Saint-Laurent utilise même des coffres à outils comme protecteurs sous certains de ses camions.

L'arrondissement estime que cela lui coûte en moyenne 1500$ par véhicule. «Quand on l'amortit sur la durée de vie du véhicule, c'est des peanuts», dit Alan DeSousa.

Saint-Laurent a pris ce virage à la suite de la mort de la jeune Jessica Holman-Price sous les roues d'une déneigeuse à Westmount, en décembre 2005.

Parallèlement, Alan DeSousa a écrit des dizaines de lettres pour demander à Ottawa et Québec d'imposer les protecteurs latéraux, sans grand succès, reconnaît-il.

L'efficacité des protecteurs latéraux en Europe n'est plus à démontrer. Une étude menée en 2005 au Royaume-Uni a constaté qu'ils permettent de réduire de 61% le taux de mortalité des cyclistes qui entrent en collision avec un véhicule lourd.

Au Canada, le Bureau du coroner de l'Ontario réclame depuis 1998 que les protecteurs latéraux deviennent obligatoires. Dans un rapport remis en 2012, il souligne que la moitié des cyclistes ontariens tués par un véhicule lourd étaient tombés sous les roues après avoir percuté le côté du camion. Au Québec, le coroner Jacques Ramsay a recommandé «d'encourager l'utilisation de la jupe latérale sur les remorques» à la suite de la mort d'une cycliste en octobre 2005 à Montréal.

Discussion sur les jupettes

La question des protecteurs latéraux fera l'objet de discussions aujourd'hui entre le responsable des transports de Montréal, Aref Salem, et l'Association du camionnage du Québec. Montréal envisage de revoir la place des camions sur son territoire et s'intéresse à l'imposition de protections latérales.

Déjà, le PDG de l'Association s'oppose à ce que les protecteurs deviennent obligatoires et soutient que les études ne sont pas concluantes. Il cite un rapport rendu en 2010 dans lequel Transports Canada, tout en reconnaissant les effets positifs observés depuis 30 ans en Europe, s'interroge sur la possibilité que des cyclistes meurent en étant projetés sur un autre véhicule après avoir percuté un protecteur latéral.

«Nous sommes ouverts à la discussion, mais pas de là à tirer des conclusions et à imposer à une industrie des choses qui n'ont pas fait leurs preuves. Au nom de la vertu, on lance beaucoup d'idées sans connaître l'effet bénéfique que ces choses pourraient avoir», déplore Marc Cadieux, de l'Association du camionnage du Québec.

Son organisation réclame plutôt que la métropole serre la vis aux cyclistes délinquants. «Le vélo a pris beaucoup d'expansion à Montréal et je suis obligé de dire, même si on n'aime pas ça, qu'il y a beaucoup de délinquance dans le comportement des cyclistes.»