Pour ses 100 premiers jours, Denis Coderre a appliqué à merveille le mot d'ordre de son mentor, Jean Chrétien «Low expectations, high delivery», qu'on pourrait traduire par «Faibles attentes, grandes réalisations». Celui que ses adversaires décrivaient souvent comme un populiste sans contenu a clairement réussi, en quelques dizaines de décisions, à imposer un nouveau leadership à l'hôtel de ville de Montréal.

«Le bilan est plutôt positif: il a été dans bien des cas au-dessus des attentes, résume Jean Doré, maire de Montréal de 1986 à 1994. Bien des gens se rendent compte que le personnage est un gars intelligent, capable de prendre des décisions, certains diraient trop rapides, mais ses décisions correspondent à ce qu'il fallait faire.»

Un son de cloche que partage Laurent Blanchard, qui a brièvement occupé le poste de maire en 2013. «À part un tweet malheureux sur David Desharnais, il ne semble pas avoir fait d'erreur. On pensait que ce serait Réal Giguère avec ses proverbes à 5 cents, mais je pense qu'il est moins populiste qu'il en donne l'impression.»

Son «populisme» s'est traduit par une proximité appréciée de ses citoyens, un empressement à trouver des solutions aux problèmes, des plus simples aux plus complexes. «Il a montré qu'il aime Montréal et les Montréalais et, en retour, ils vont certainement l'aimer, croit Louise Harel, ex-chef de l'opposition et ex-ministre des Affaires municipales. Il y a un pas de plus qu'il n'a pas fait pour qu'ils puissent l'admirer: faire connaître son projet pour Montréal, sa vision.»

En effet, si son programme demeure parfois nébuleux, il en a pourtant esquissé des tendances claires: rigueur budgétaire, présence de Montréal et de son maire sur toutes les tribunes, intégrité.

«Je ne pense pas qu'il ait pris de grandes décisions, mais il donne l'impression qu'il y a un pilote dans l'avion, estime Jean Gosselin, stratège en communication. Non seulement il n'y avait pas de pilote depuis quelques années, mais on se demandait avec qui il était acoquiné...»

Contrairement à ses prédécesseurs, Gérald Tremblay et Pierre Bourque, Denis Coderre est toujours en lune de miel avec les Montréalais après ses 100 premiers jours.

«Denis Coderre a beaucoup mieux atterri dans le municipal que Gérald Tremblay», observe la politologue Danielle Pilette.

Arrivé à la tête d'une métropole meurtrie par une décennie de corruption et de collusion, et qui a connu quatre maires en moins d'un an, il a réussi jusqu'à maintenant l'inattendu: ramener la tranquillité.

Le style Coderre en 10 temps

De la nomination de Philippe Schnobb à la faillite de BIXI, en passant par l'alliance avec Régis Lebeaume et ses phrases-chocs célèbres, voici 10 moments forts qui ont permis aux Montréalais de connaître le style Coderre.

Un maire 2.0

10 novembre: Critique de David Desharnais

Connu pour son omniprésence sur les réseaux sociaux, Denis Coderre soulève une controverse peu après son élection en suggérant au Canadien d'envoyer à Hamilton l'attaquant David Desharnais. Malgré cet épisode, l'élu a continué à être très actif sur les réseaux sociaux. Il profite de son compte pour faire savoir quand il est présent à un incident, comme un incendie ou une fuite d'eau. «Son omniprésence, pour l'instant, le sert. Mais s'il est présent partout, c'est que de la job ne se fait pas à la shop. Néglige-t-il l'intendance? Pour avoir fait ce travail ne serait-ce que pendant cinq mois, c'est du sept jours par semaine, 10 heures par jour», observe Laurent Blanchard.

Trop de priorités?

18 novembre: éliminer les salons de massage érotique

Lutte contre la corruption et la collusion, caméras de surveillance, maintien des services postaux, régimes de retraite, itinérance, pont Champlain, sécurité des chauffeurs de taxi, lutte contre les salons de massage érotique. Le maire Coderre a beaucoup de priorités, peut-être trop. «Il est un peu intempestif», estime la politologue Danielle Pilette. Pour l'ex-maire Jean Doré, cette «hyperactivité» a du bon. «Il veut que la perception des Montréalais à l'égard de leur propre ville change. Il s'en va dans le bon sens.»

Nomination partisane

26 novembre: Philippe Schnobb à la tête de la STM

À peine trois semaines après son élection, Denis Coderre place un de ses candidats battus, Philippe Schnobb, à la tête de la STM, en remplacement de Michel Labrecque. Cette nomination partisane controversée qu'il qualifie de «politique», il la défend bec et ongles. «On peut regretter que M. Labrecque ne soit plus le grand patron de la STM, mais ce n'est peut-être pas un mal: c'est bien en un sens que le maire de Montréal puisse disposer de relais dans l'administration de gens qui lui sont plus fidèles», estime Pierre J. Hamel, professeur à l'INRS.

Leadership

28 novembre: Démission de Charles Lapointe

Le leadership de Denis Coderre est rapidement mis à l'épreuve. À la suite des révélations sur le train de vie princier de Charles Lapointe à Tourisme Montréal, le nouveau maire exige - et obtient - sa démission du Conseil des arts de Montréal. Il pousse aussi l'ancien patron de Lapointe, Jacques Parisien, à démissionner de la Société du 375e. Coderre aura d'autres occasions d'exercer son leadership: mobilisation contre la disparition de la livraison du courrier ou drapeau gai sur l'hôtel de ville. Il a lancé plusieurs mouvements qui ont été suivis par d'autres politiciens. «L'alliance avec Labeaume a eu l'effet de ramener le gouvernement à la réalité. Le gouvernement ronronnait, avec son rapport et ses consultations, et le travail combiné des deux maires l'a forcé à déposer un projet de loi», souligne Jean Doré.

Mettre Montréal à son diapason

16 décembre: embauche d'Alain Marcoux

Denis Coderre a rapidement entrepris de mettre Montréal à son diapason. Il a ainsi choisi un gestionnaire d'expérience comme directeur général. Alain Marcoux occupait depuis plusieurs années le poste de DG à Québec, où il a réformé la Ville.

«M. Marcoux, semble-t-il, fait un bon barrage entre les élus et les fonctionnaires. C'est une bonne chose pour que les employés ne se sentent pas interpellés par des considérations politiques: ce n'est pas leur job», souligne Pierre J. Hamel, professeur à l'INRS. 

Opération charme

17 janvier: tournée des régions

Plusieurs ont salué les démarches de Denis Coderre pour vendre Montréal au reste du Québec. «Sa tournée des régions était une bonne idée. En se faisant rassembleur, il augmente ses chances de faire passer les dossiers montréalais», estime Christian Savard, de l'organisme Vivre en Ville. Il a appliqué la même recette dans ses relations avec les banlieues, observe la politicologue Danielle Pilette. «C'est un régionaliste proactif, un lobbyiste et un champion en devenir pour la région métropolitaine. Pour Coderre, la région est l'échelle géopolitique qui lui permet de se positionner comme le maire de la moitié du Québec.»

Stopper l'hémorragie BIXI

20 janvier: mise en faillite de la Société de vélo en libre-service

En forçant la société gérant le BIXI à faire faillite, Denis Coderre prenait un risque politique. Il a pourtant réussi à convaincre l'opinion publique qu'il s'agissait d'un geste responsable. Avec une dette avoisinant les 50 millions et une poursuite de 37 millions, «on ne peut qu'être d'accord avec ce geste, estime le politologue Pierre J. Hamel. Comme, en plus, on est incapable de savoir ce qui s'y passe, ça en rajoutait.» Le maire Coderre a tout de même assuré qu'il y aurait une saison 2014 pour BIXI, repoussant ainsi l'annonce possible de son démantèlement.

De la bonne formule à la langue de bois

22 janvier: explications bancales

Connu pour sa maîtrise de la formule-choc, Denis Coderre a aussi laissé transparaître son côté langue de bois. Ses explications sont parfois vagues, voire difficiles à comprendre. «On va avoir des liens de cause à effet sur les impacts de ce que ça veut dire sur le terrain», a-t-il dit pour justifier la création d'un service du développement économique, le 22 janvier. À force de le côtoyer, les journalistes ont observé que le maire a tout un répertoire de formules toutes faites qu'il se plaît à répéter. Voici son top 5: «On ne veut pas un menu à la carte»; «Je ne suis pas un dogmatique»; «Il y a des réalités»; «Généreux mais pas naïf»; «Il faut que la main gauche parle à la main droite.»

Rigueur budgétaire

29 janvier: dépôt du budget

Pour la première fois en plus d'une décennie, le taux de croissance des dépenses de la Ville sera inférieur à 2% en 2014. En imposant aux services centraux des compressions de 5% et un gel des embauches, l'administration remplit sa promesse de limiter la hausse des taxes foncières sous l'inflation. Le gel des budgets des arrondissements les force toutefois à piger dans les goussets des contribuables. Christian Savard, de Vivre en Ville, se dit en outre déçu des compressions à la STM. «C'est très navrant de voir que la direction qu'on prend, c'est de couper dans les transports en commun.»

Le sceau de la commission Charbonneau

12 février: choix de Denis Gallant comme inspecteur général

Denis Coderre est passé bien près de ne pouvoir livrer son principal - voire son seul - engagement pour les 100 premiers jours de son mandat: créer un poste d'inspecteur général. En campagne, plusieurs doutaient même de l'utilité d'un tel «super enquêteur». Que fera l'inspecteur général alors que Montréal dispose déjà d'un vérificateur général, d'un contrôleur général, d'une commission d'examen des contrats et d'une escouade policière qui se consacre à la lutte contre la corruption municipale? Même si l'inspecteur aura moins de pouvoirs que prévu, la nomination, la semaine dernière, d'un procureur vedette de la commission Charbonneau, Me Denis Gallant, a réussi à faire taire les critiques.