Le 13 janvier dernier, quand un imposant morceau de béton s'est détaché d'un viaduc du boulevard Henri-Bourassa pour tomber sur une voiture qui roulait sur l'autoroute 40, le monde des transports en commun a tremblé. La possibilité qu'une partie des fonds destinés à l'entretien des routes soit plutôt attribuée aux transports collectifs, en difficulté financière, est soudainement devenue, ce jour-là, moins probable.

«Le recours aux ressources de l'État est limité en raison de la situation des finances publiques, dit le président de la Société de transport de Montréal (STM), Philippe Schnobb, en entrevue à La Presse. Nos besoins financiers augmentent à cause du maintien des actifs, mais on va devoir faire compétition, dans l'opinion publique, avec des viaducs qui perdent des morceaux, qui créent une urgence.»

En comparaison, dit-il, «les tunnels du métro ont été bien entretenus. Ça se dégrade, mais à un rythme qui n'est pas affolant». Et tant mieux, fait remarquer Carl Desrosiers, «parce que si on perd des morceaux, dans un tunnel, on ne peut pas envoyer le métro sur une voie temporaire.»

«Un métro qui arrête, c'est catastrophique, ajoute-t-il. À la station McGill, en heure de pointe, c'est l'équivalent de 12 Boeing 747 qui circulent dans ces tunnels, chaque cinq minutes.»





Un déficit de 3 milliards

Ce n'est pas un scénario que la STM redoute, mais comme en témoignent les travaux de plusieurs dizaines de millions de dollars prévus dans les tunnels de la ligne 4 (jaune), en direction de Longueuil, au cours des prochains mois, une grande partie du réseau du métro a aujourd'hui plus de 47 ans, et ses infrastructures ont pris un coup de vieux. De même que des garages pour ses autobus et des stations qui ont besoin d'être rénovés. Berri-UQAM, à elle seule, coûtera près de 100 millions.

Au total, estime la STM, le déficit d'entretien de ses équipements atteint aujourd'hui 3 milliards, et devra être résorbé d'ici 2030.

«Ce sont des investissements qu'on doit faire pour maintenir la fiabilité des réseaux, insiste M. Schnobb. Une clientèle satisfaite, ce sont des clients qui prennent des autobus qui arrivent à l'heure, et qui ne restent pas coincés dans une panne de métro. On n'a pas le choix, il faut faire ces investissements, mais les revenus ne sont pas là.»

À court terme, la STM prévoit que le maintien de ses actifs va accaparer 77% de son programme d'immobilisations de 2,2milliards, d'ici 2016.

Même si la majorité de ces investissements est financée à 75% ou plus par Québec, la part des projets que la STM doit financer elle-même fera grimper le service de la dette de 77,5 millions à 109,3 millions à la fin de 2016.

Un modèle brisé

«Pour 2015, précise Carl Desrosiers, c'est 25 millions de plus sur le service de la dette. Et je ne sais pas où on va le prendre. Si je le fais absorber par les usagers, c'est une augmentation de 5% des tarifs, juste pour ça, sans l'inflation et le reste. Et l'année suivante, c'est 5% de plus.»

«Le modèle d'affaires actuel des transports en commun ne tient plus la route, ajoute le directeur général. Même si on ne fait rien, même si on n'ajoute pas un centimètre de nouveaux services cette année, on est dans le trouble, parce que le modèle ne génère plus les revenus suffisants. Sans une nouvelle source de financement, c'est dans les services qu'on va devoir couper. Et là, les chiffres sont hors de proportion.»

La STM, dit Philippe Schnobb, «fonde de grands espoirs dans la Politique québécoise de mobilité durable» que le ministre des Transports du Québec, Sylvain Gaudreault, déposera... éventuellement.

Cette nouvelle politique, retardée en 2012 par un changement de ministre, puis en 2013 par un changement de gouvernement, devait finalement être présentée en décembre. Elle a été reportée en janvier. Janvier est passé, et la PQMD est toujours attendue.

La semaine dernière, dans le cadre des consultations prébudgétaires du ministère des Finances et de l'Économie, la STM a formulé une dizaine de propositions (voir encadré) au gouvernement du Québec afin de diversifier ses sources de financement et hausser ses revenus.

Dans l'intervalle, la STM s'active pour une année qui pourrait bien malgré tout être faste et fébrile. Le développement des nouvelles voies réservées aux autobus, entièrement financé par Québec, va se poursuivre. L'installation de 300 nouveaux abribus interactifs et attrayants financés grâce à une entente commerciale avec Québecor, doit aussi commencer cette année.

Le déploiement de la téléphonie cellulaire dans le métro - entièrement financé par quatre entreprises de télécommunications - sera progressivement mis en oeuvre dans les stations du centre-ville et de ses environs immédiats, d'Atwater à Beaudry, sur la ligne 1 (verte), et de Bonaventure à Mont-Royal sur la ligne 2 (orange).

Avant la fin de 2014, si les essais sont concluants, les usagers du métro pourraient même monter pour la première fois dans les nouvelles voitures de métro Azur, construites par Bombardier et Alstom, au coût de 1,2 milliard.

«Maintenant qu'elles arrivent, dit M. Schnobb, il va falloir commencer à les payer.»

10 demandes de la STM au gouvernement du Québec

1. Hausser les revenus du Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), qui finance les travaux routiers et les réseaux de transports en commun.

2. Hausser à 30% la part des transports collectifs dans les investissements de transport du Plan québécois des infrastructures 2013-2023 (2,2 milliards de plus sur 10 ans, selon le plan actuel).

3. Augmenter la contribution de Québec à la SOFIL et hausser la part des transports en commun dans ses dépenses.

4. Donner priorité aux transports collectifs dans le nouveau Fonds Chantiers Canada.

5. Consacrer les 2/3 du Fond Vert (provenant des recettes du marché du carbone) pour l'amélioration des transports collectifs.

6. Hausser la taxe régionale sur l'essence de 5 cents par litre, à raison de 0,5 cent par année, pendant 10 ans, pour financer la part municipale des transports collectifs.

7. Hausser et indexer les droits d'immatriculation sur tout le territoire métropolitain. Soumettre les véhicules commerciaux aux droits d'immatriculation pour les transports collectifs.

8. Prélever la taxe sur l'essence en pourcentage des achats de carburant, au lieu d'un montant fixe par litre, pour indexer la contribution des automobilistes.

9. Maintenir le tarif L réservé aux clients industriels d'Hydro-Québec pour l'alimentation en électricité du métro (voir autre texte).

10. Financer adéquatement le transport adapté. Québec finançait 75% des coûts de ces services jusqu'en 2012. Le financement actuel couvre seulement 58% des coûts, dit la STM.

Source: STM, consultations prébudgétaires 2014-2015