Le remplacement du pont Champlain annonce un embouteillage monstre chez les experts et la main-d'oeuvre en génie civil, déjà sollicités par la reconstruction du complexe Turcot.

«Ce sera un projet ou l'autre, mais pas les deux à la fois. C'est une question de disponibilité de la main-d'oeuvre et de l'équipement. Il faudra choisir», explique à La Presse le dirigeant d'une grande entreprise de construction. La situation complique les discussions avec les éventuels partenaires, car tout le monde attend le résultat dans le dossier Turcot avant de faire un pas en avant ou de côté pour le projet du nouveau pont.

En effet, au moment où le gouvernement fédéral lancera, au printemps, l'appel de qualification des entreprises désireuses de construire la structure qui remplacera le pont Champlain, le gouvernement du Québec recevra de son côté les soumissions pour Turcot. Il s'agit de deux immenses projets de plus de 3 milliards de dollars chacun et d'un degré de complexité important.

L'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) confirme que Turcot est un véritable enjeu pour le remplacement du pont Champlain. Ce sont des morceaux du même casse-tête, souligne Johanne Desrochers, PDG de l'AICQ.

L'enjeu de l'intégrité

Mme Desrochers soulève également l'impact de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics (loi 1) sur les travaux prévus. Même s'il s'agit d'une législation provinciale, ses effets se font sentir dans le dossier fédéral du pont, dit-elle.

Cela colore les discussions entre les entreprises désireuses de former un consortium. Certaines d'entre elles se questionnent sur la probité de leurs interlocuteurs et, surtout, sur la possibilité qu'ils soient toujours sur les rangs si la certification de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ne leur est pas accordée. De là à remettre en question un engagement financier, il n'y a qu'un pas. Que ce soit Turcot ou le remplacement du pont Champlain, des sommes importantes sont en jeu, rappelle Mme Desrochers.

«On voit vraiment les effets de la loi 1. C'est normal que les vérifications prennent un certain temps et il fallait le faire. Mais on est rendu à un stade où on espère vraiment que les choses vont aboutir prochainement. C'est qu'il y avait jusqu'ici des donneurs d'ouvrage frileux. Mais maintenant, ce sont des partenaires d'affaires qui deviennent frileux à leur tour», affirme Johanne Desrochers.

Parmi les grandes firmes de génie, seule Dessau a reçu sa certification de l'AMF à ce jour; des changements en profondeur dans ses règles de gouvernance ont été faits à la satisfaction de l'Autorité. SNC-Lavalin, l'une des rares entreprises du Québec à avoir les assises financières ainsi que l'expertise pour être à la tête d'un des consortiums qui pourraient présenter une soumission, attend toujours d'avoir le droit de brasser des affaires avec le gouvernement du Québec. Sans certification, SNC-Lavalin, qui soumissionne à Turcot, ne pourra remporter ce contrat, ce qui entraînera ses partenaires dans son sillage. «Et si SNC-Lavalin n'a pas son papier de l'AMF, qui va prendre le risque de s'associer avec elle pour le pont?», se demande un entrepreneur qui a requis l'anonymat pour ne pas nuire à ses discussions commerciales pour le nouveau pont.

Mais selon un expert des partenariats public-privé (PPP) bien au fait du dossier du pont Champlain et qui n'a pas voulu être nommé, le projet du pont apportera son lot de contrats périphériques au PPP. «Il y en a pour tout le monde», estime-t-il.