Michel Labrecque a toujours fait des listes. Il y a près de cinq ans, en prenant la présidence de la Société de transport de Montréal (STM), sa liste des «choses à faire» comprenait 28 points. Au moment de quitter un emploi et une équipe qu'il a adorés, il assure avoir coché tous les articles de cette liste. Y compris un point «qui n'est pas réglé».

La quête sempiternelle d'une source de financement «dédiée, indexée et récurrente» pour financer le fonctionnement des réseaux de transports collectifs reste inachevée, selon le président de la STM, malgré les multiples appels et avertissements qu'il a lancés aux élus et décideurs pendant toute la durée des cinq années passées à la tête du plus important transporteur public au Québec.

Le déficit d'entretien des infrastructures du métro, révèle M. Labrecque, a été estimé à entre 2 et 3 milliards de dollars. La STM travaille déjà sur un plan de 15 ans pour rattraper ce déficit. À la fin de 2013, après trois années de surplus budgétaires, la STM devrait aussi accuser un déficit d'exploitation d'environ 15 millions, ce qui représente à peine 1,3% de ses revenus. Mais si rien ne change dans les formules de financement des transports collectifs, ce déficit sera de plus de 60 millions à la fin de 2014.

«Pendant des années, nous avons pris congé d'entretien des infrastructures d'égout, d'aqueduc, des ponts, des autoroutes et des viaducs. C'est pareil pour le métro. La réfection de la station Berri-UQAM, juste ça, ça va coûter 100 millions.»

Avertissements

Quant au déficit d'exploitation de 15 millions, «ce ne serait pas arrivé si on ne s'était pas fait imposer des compressions annuelles de 32 millions, en plein milieu de l'année, par Michael Applebaum», au moment où celui-ci était président de l'exécutif, en 2012.

Ces déficits étaient prévus, anticipés, dans le plan stratégique 2020, adopté en 2010, et dont la STM n'a pas dérogé depuis trois ans. M. Labrecque n'a jamais manqué l'occasion de le souligner.

Alors que le ministre des Transports Sylvain Gaudreault annonçait officiellement, en septembre dernier, que le métro serait prolongé vers Anjou, le président de la STM, en retrait, répétait que «si on n'a pas les moyens de l'entretenir, il faudrait arrêter de construire».

«Cette dimension d'un financement dédié, indexé et récurrent, je ne suis pas arrivé à convaincre les autorités publiques que, sans cela, il va être très difficile à la STM de payer sa part des investissements actuels dans le métro ou le réseau d'autobus, avec notre billetterie et des taxes foncières.»

«Les meilleures idées du monde se fracassent sur les murs budgétaires, déplore-t-il. Et ce n'est pas vrai qu'on peut toujours faire plus, avec moins.»

Pas de regrets

Ce soir, lorsque les élus du conseil d'agglomération de Montéral auront entériné la nomination de son successeur désigné, Philippe Schnobb, le séjour de Michel Labrecque à la présidence de la STM, commencé en janvier 2009, prendra officiellement fin.

Durant les cinq années, ou presque, où il a présidé aux destinées d'une société publique de plus de 9000 employés, dotée d'un budget annuel de 1,2 milliard, la fréquentation des bus et du métro a augmenté de façon peu spectaculaire, mais constante. La STM établira, pour la troisième année d'affilée, un nouveau record absolu d'achalandage en assurant entre 416 et 418 millions de déplacements d'ici la fin de 2013.

Les revenus de la STM sont passés de 860 millions, en 2008, à plus de 1,2 milliard, cette année. La société a obtenu du gouvernement du Québec un contrat d'acquisition pour 468 nouvelles voitures de métro, dont la livraison commencera l'an prochain.

Québec a aussi annoncé le prolongement de la ligne bleue du métro vers Anjou et le financement à 100% des nouvelles voies réservées aux autobus, projetées par la STM.

Avec une croissance des revenus commerciaux, des nouveaux abribus interactifs, un service d'autobus accru et une nouvelle image, le Mouvement Collectif, qui fait son chemin dans la vie des Montréalais. Michel Labrecque n'a pas de regrets et estime qu'il lèguera une société en santé à son nouveau dirigeant.

Il a rédigé un document d'une trentaine de pages pour son successeur, intitulé D'une présidence à l'autre.

«Je n'ai pas écrit ça hier.» Il s'agit d'un départ préparé, assure-t-il.

Mais pas moins douloureux.

«Une peine d'amour»

Michel Labrecque posait pour le photographe de La Presse sur une mezzanine de la station de métro Bonaventure et il parlait des conversations à bâtons rompus qu'il a parfois avec des membres de la direction de la STM, quand il s'est arrêté subitement, entre deux mots. Il a levé la main à son front, s'est couvert les yeux. Il a rentré un peu le menton dans sa veste. Son visage s'est empourpré. Il y a eu une (rare) minute de silence dans un couloir du métro. «C'est comme une peine d'amour», dit-il de ce départ de la STM qu'il prépare depuis septembre. «C'était prévu, préparé, mais quand tu quittes un travail ou t'as investi tellement de temps, d'énergie...» Il serait resté si on le lui avait demandé, dit-il. Au cours de la campagne électorale, il a rencontré en privé trois des quatre candidats favoris à la mairie, dont le nouveau maire, Denis Coderre. Ils lui ont tous demandé s'il souhaitait rester. Il leur a répondu que oui. Il n'y a eu aucun engagement, aucune promesse. Mais il était clair, dans son esprit, depuis au moins deux mois, qu'il allait quitter la STM. Il ne craint pas pour son successeur. La haute direction actuelle de la STM, assure-t-il, est «compétente, imaginative, passionnée de transports collectifs».

La STM en chiffres

Avant et après la présidence de Michel Labrecque (janvier 2009-décembre 2013)

> Coût d'un titre mensuel, janvier 2009: 68,50$

> Coût d'un titre mensuel, aujourd'hui: 77$

> Hausse du coût de la CAM: 12,4%

> Revenus d'exploitation à la fin de 2008: 860 millions*

> Revenus d'exploitation à la fin de 2013: 1,2 milliard

> Hausse des revenus annuels d'exploitation: 39,5%

(*) en dollars courants

Fréquentation de la STM

> En 2008: 382,5 millions de déplacements

> En 2013 (prévisions): 416 millions de déplacements

> Hausse des déplacements: 8%