Un spécialiste en financement des infrastructures estime que les corps publics pourraient récupérer entre 700 et 800 millions du secteur privé pour financer le projet de système léger sur rail (SLR) entre Montréal et la Rive-Sud, en vendant les droits de développement immobilier au-dessus des stations.

Dans une entrevue à La Presse, le vice-président du conseil de la Financière Banque Nationale, Vincent Joli-Coeur, affirme qu'un partenariat étroit entre les organismes publics et de grands promoteurs immobiliers permettrait d'éponger jusqu'à 35 ou 40% des coûts de ce vaste projet de transport collectif prévu sur le nouveau lien qui remplacera le pont Champlain d'ici 2021.

M. Joli-Coeur fonde ses estimations sur d'autres expériences de développement de grandes infrastructures de transport en commun auxquelles la Financière est associée, comme à Hong Kong et à New York, où l'aménagement des nouvelles stations a été planifié de pair avec de grands projets de développement immobilier de calibre international.

Selon les experts consultés par M. Joli-Coeur et son équipe, des projets similaires pourraient voir le jour autour de cinq des stations prévues du futur SLR: aux gares Chevrier et Panama, sur la Rive-Sud, à L'Île-des-Soeurs, ainsi que dans les secteurs de la Cité du multimédia et de la gare terminale du SLR, au centre-ville de Montréal.

«À Hong Kong et à New York, dit M. Joli-Coeur, on a réalisé qu'un des plus importants bénéficiaires du développement des transports en commun, c'est le secteur de l'immobilier. Et on se rend compte que ce secteur n'est jamais sollicité de façon importante», souligne le spécialiste qui compte 25 ans d'expérience dans le financement de projets d'infrastructures au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.

«Les usagers, les commerces et même les automobilistes bénéficient des retombées de ces services. Le pont Champlain actuel serait invivable sans les transports collectifs, qui transportent autant de gens à l'heure de pointe que le trafic automobile. Mais c'est clair que le secteur immobilier est aussi un de ses premiers bénéficiaires, et qu'il devrait être intégré dès le départ» dans le développement du futur SLR, selon le banquier.

Récupérer la plus-value foncière

Le partenariat financier proposé par M. Joli-Coeur entre les autorités publiques et le secteur privé est une forme de «récupération de la plus-value immobilière», aussi connue comme «captation de la valeur foncière».

Le principe général est relativement simple: puisque le développement de grandes infrastructures de transport collectif fait augmenter la valeur des propriétés aux environs immédiats de nouvelles stations, les autorités publiques peuvent taxer ou récupérer auprès des propriétaires une partie de cette «plus-value» foncière, générée par un investissement public, en utilisant divers mécanismes fiscaux ou financiers.

Si la mécanique paraît simple, sa mise en application peut s'avérer très complexe.

Depuis déjà quelques années, l'Agence métropolitaine de transport, responsable du développement des transports en commun dans la région de Montréal, fait la promotion de cette solution pour aider à financer les grands projets d'infrastructures comme le SLR ou les prolongements du métro.

Dans une entrevue récente, le président de l'AMT, Nicolas Girard, se disait optimiste quant à la possibilité de financer 15 à 20% des coûts d'aménagement du projet SLR Montréal-Rive-Sud, estimé à 2 milliards, en utilisant une forme ou une autre de «captation foncière».

Pour Vincent Joli-Coeur, il faut être plus ambitieux que cela.

«Ça pourrait être facilement entre 35 et 40%, assure-t-il. Nous sommes convaincus, à la Banque Nationale, que si on reste dans la fourchette basse, à 15 ou 20%, on fait erreur.»

En parlant des nombreuses publications récentes sur l'implantation possible de cette «captation foncière» et des réflexions en cours, à l'AMT, le financier n'est pas tendre et croit qu'il faut éviter tout modèle qui réduirait la récupération de la plus-value immobilière à une nouvelle version, actualisée et sophistiquée, des taxes d'amélioration locale.

À New York, souligne-t-il, le secteur immobilier va fournir 1 milliard pour le projet de prolongement de la ligne 7 du métro dans l'ouest de Manhattan, estimé à 2,4 milliards, par l'acquisition des droits d'occupation des terrains du métro - terrains qui resteront toutefois propriété publique.

L'AMT pourrait importer ce modèle, croit-il, pour le SLR.

«Il faut aller chercher cette plus-value, ne pas la laisser sur la table, dit M. Joli-Coeur, et c'est là que le rôle du secteur public sera primordial. Pas en trouvant une nouvelle manière d'augmenter les taxes, mais en améliorant le modèle de financement actuel des transports en commun, sans rien révolutionner.»