Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) enquête sur des allégations de financement politique sectoriel et d'un stratagème de prête-noms au sein du syndicat affilié des débardeurs du port de Montréal, a appris La Presse. Certains des membres du local 375 se seraient fait rembourser leur contribution politique.

«C'est une enquête qui dure depuis trois mois, entre autres sur les comptes, et j'ai mis de la pression sur notre enquêteur pour obtenir son rapport dans les plus brefs délais», confie Denis Plante, directeur du SCFP Québec.

Cet enquêteur doit notamment déterminer si l'argent des syndiqués a servi à rembourser des cotisations politiques. «Ça n'aurait pas de bon sens d'avoir fait ça», s'exclame Denis Plante.

Le 30 mars 2010, il y avait foule au Club Soda lors d'un cocktail avec Louise Harel et les élus de Vision Montréal. Au total, 238 personnes ont payé 150$ chacune pour y assister. Parmi celles-ci, des membres du bureau du syndicat des débardeurs.

Or, leur présence n'avait rien à voir avec de la partisanerie politique, selon l'un des débardeurs qui ont assisté au cocktail et que La Presse a rencontrés en compagnie d'un collègue. L'homme a souhaité conserver l'anonymat, entre autres pour des raisons de sécurité. Depuis que son auto a été vandalisée, il est devenu méfiant.

«Lors d'une réunion de l'exécutif tenue peu avant, relate-t-il, le secrétaire-trésorier Sylvain Charron, aujourd'hui vice-président, nous a annoncé que le syndicat allait acheter quatre billets pour ce cocktail afin d'encourager Mario Blanchet. Le confrère débardeur venait d'être élu conseiller de Vision Montréal dans l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles. Nous devions fournir les noms de volontaires. Il était clair dès le départ que le syndicat nous rembourserait.»

Quelques jours après l'évènement, le local 375 lui a remboursé par chèque, signé par le trésorier, le don fait à Vision Montréal.

La Presse a obtenu tous les documents l'attestant, incluant le billet du cocktail à 150$, une allocation de dépenses rédigée par un «donateur» sur laquelle apparaît la mention «Vision Montréal» dans les «détails des dépenses», où figure le montant de 150$. Et aussi la copie du talon de chèque de remboursement émis par le «syndicat des débardeurs».

«Je n'étais pas au courant et je désapprouve totalement, alors que l'on fait des pieds et des mains pour se sortir de ce que l'on voit depuis quelques années», déclare Mario Blanchet.

«Jamais entendu parler de ça, je vais faire les vérifications», réplique sèchement Sylvain Charron, au cours d'un bref entretien.

Remboursement interdit

«Une contribution ne peut faire l'objet d'un quelconque remboursement. Il est interdit aux personnes morales (compagnies, syndicats, etc.) d'effectuer une contribution», peut-on lire sur le site internet du Directeur général des élections (DGE).

«S'il y a remboursement, l'électeur devient un prête-nom», résume Denis Dion, le porte-parole du DGE.

M. Dion, qui laisse le soin aux enquêteurs de son organisme de déterminer si le geste est illégal ou pas, se borne à citer les articles 429 et 430 de la Loi sur les élections et référendums dans les municipalités. Ceux-ci stipulent notamment qu'une «contribution doit être faite volontairement» et ne doit pas être remboursée.

«Moi, je ne savais pas que c'était illégal, assure le débardeur donateur. Nous donnions souvent à des organismes [sociaux, caritatifs, etc.] de cette façon.» À ce propos, l'homme promet de régulariser le crédit d'impôt qu'il a obtenu indûment.

Cas unique?

Les cotisations des travailleurs du local 375 ont-elles servi à donner un coup de pouce financier à leur collègue élu de Vision Montréal et à ce parti?

«Aucun doute, réplique notre source. L'argent vient du compte bancaire du syndicat, donc de nos cotisations.»

La Presse a retrouvé les noms de plusieurs débardeurs donateurs dans les registres du DGE. Dans certains cas, en particulier celui de Sylvain Charron, il s'agit de dons réguliers au municipal, au provincial et au fédéral (voir autre texte).

Durant la seule année 2010, hormis le cocktail évoqué plus haut, quatre autres événements de financement ont été organisés par Vision Montréal. On en dénombre huit en 2011, dont un à 50$ le billet le 25 novembre à la Maison des débardeurs, le quartier général du local 375.

«J'y ai souvent vu des collègues, pas toujours les mêmes. J'étais content de les voir, de prendre un verre de vin avec eux. Mais ils ne me disaient pas: je me suis fait rembourser», dit Mario Blanchet.

La question qui se pose donc chez ces syndiqués et au SCFP est de savoir combien parmi tous ces «donateurs», en particulier à Vision Montréal, ont été remboursés par leur syndicat. Et est-ce que ce même stratagème a été utilisé aux niveaux provincial et fédéral?

Ce sera surtout le rôle des enquêteurs du DGE, contactés ces derniers jours par les syndiqués, de faire la lumière sur cette question qui tracasse le président du SCFP Québec.

«Si tout ceci se vérifie, on va intervenir», prévient déjà Denis Plante.

Le syndicat du local 375 très actif politiquement

Les noms de plusieurs membres du local 375, notamment des membres du bureau syndical actuel, apparaissent dans la liste des donateurs de Vision Montréal en 2010 de même qu'en 2011.

Il s'agit entre autres de Sylvain Charron, actuel vice-président (trésorier à l'époque du remboursement), fiscaliste et CGA (500 $ au total à Vision Montréal en 2010-2011).

Le syndicaliste, par ailleurs un des dirigeants du SPQ libre, est aussi un important donateur du Bloc québécois, du PQ, de Québec solidaire (4000 $ environ depuis 2007). Ces données ont été vérifiées par La Presse dans les registres du DGE du Québec et Élections Canada.

Sylvain Charron s'est-il fait rembourser ses cotisations?: «Non!», répond-il. On relève aussi le nom de Mario Blanchet, conseiller d'arrondissement élu en 2009 sous la bannière d'Équipe Harel Vision Montréal dans Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles et actuel candidat pour Coalition Montréal Marcel Côté (2550 $ de 2009 à 2011).

«Si vous me demandez si on a remboursé des cotisations, la réponse est non», insiste Sylvain Charron.

Mario Blanchet nie aussi s'être fait rembourser ses dons.