Le gouvernement Harper et Québec sont engagés dans un bras de fer sur le financement du futur pont Champlain. Le gouvernement Marois et plusieurs élus municipaux craignent que l'imposition d'un péage se traduise par des tarifs prohibitifs pour les automobilistes. La réplique d'Ottawa: «Pas de péage, pas de pont.» Or, des données obtenues par La Presse montrent que le péage risque de provoquer une congestion monstre sur les autres ponts de la Rive-Sud.

L'imposition d'un péage sur le nouveau pont Champlain provoquera un exode de 30 000 voitures vers les autres ponts qui enjambent le Saint-Laurent, selon des projections préliminaires obtenues par La Presse. Un scénario qui risque de provoquer un engorgement «catastrophique» du réseau routier de la métropole.

La firme Steer Davies Gleave (SDG) a été mandatée par Transports Canada pour estimer l'achalandage du futur pont en tenant compte de l'imposition d'un péage et de la présence d'un nouveau mode de transport collectif, par exemple un système léger sur rail (SLR). Pour ce faire, elle a mené un sondage internet auprès des usagers du pont Champlain.

En avril, l'entreprise a présenté ses résultats préliminaires aux représentants du ministère fédéral, du gouvernement du Québec et de l'Agence métropolitaine de transport (AMT). Une rencontre qui a semé la consternation chez certains fonctionnaires.

SDG estime que 30 000 voitures migreront vers d'autres ponts chaque jour si le péage est imposé sur le futur pont Champlain en 2021. À cet exode s'ajoute celui de 2500 camions qui se tourneront vers d'autres traversées pour gagner l'île de Montréal et en revenir.

Au total, 22% des véhicules qui circulent normalement sur le pont Champlain se dirigeraient ainsi vers les autres ponts. L'engorgement créé par cette situation serait «catastrophique», selon une source bien au courant du dossier.

«Tous les ponts de la Rive-Sud sont saturés, a-t-on indiqué. On n'est pas dans une situation où on a de la réserve de capacité. Ils sont tous saturés, du pont Mercier jusqu'au pont-tunnel La Fontaine.»

Transports Canada a refusé de confirmer les chiffres de SDG, affirmant que la firme n'a pas encore terminé ses travaux.

«Les études de SDG sont encore en cours et les résultats feront partie du dossier d'affaires qui devrait être complété avant la fin de l'automne, a indiqué la porte-parole du Ministère, Maryse Durette. Des études supplémentaires sur la gestion de la circulation sont aussi prévues lors d'étapes subséquentes du projet.»

Le ministre fédéral chargé du dossier, Denis Lebel, a toujours maintenu que le péage est une condition sine qua non du remplacement du pont Champlain, un projet en partenariat public-privé.

Québec calcule que si le pont est entièrement financé par le péage, comme le souhaite le gouvernement conservateur, le péage coûtera de 5$ à 7$ par passage, si l'on se fie aux statistiques d'achalandage actuelles.

Transport collectif

Par ailleurs, SDG avance qu'à peine 1500 personnes se tourneront vers les transports collectifs advenant l'imposition d'un péage sur le futur pont. Un résultat qui en a fait sourciller plusieurs, puisque la mise en place de péages à Londres, Stockholm et Milan a provoqué une hausse importante des déplacements en transports en commun.

Ces résultats tombent à pic pour le gouvernement Harper, actuellement dans un bras de fer avec Québec sur le financement du SLR sur le futur pont Champlain. Le gouvernement Harper refuse de créer une enveloppe budgétaire exclusivement pour ce projet de 2 milliards, arguant que le transport collectif est une compétence provinciale.

Québec pourrait ainsi se prévaloir de programmes d'infrastructures existants pour obtenir des fonds fédéraux dans le cadre du projet. Mais la province devrait alors renoncer à d'autres projets de transports.

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Les gens d'affaires inquiets

Les données obtenues par La Presse confirment les pires craintes du milieu des affaires de la Rive-Sud, qui s'oppose bec et ongles à l'imposition d'un péage sur le futur pont Champlain.

Selon un sondage mené en 2011 pour le compte de la Coalition Champlain, 26% des résidants de Montréal et 36% des résidants de la Rive-Sud comptent modifier leur trajet pour éviter le péage sur le futur pont Champlain. Ces données soulevaient déjà des craintes sur les risques de congestion dans le reste du réseau routier.

«Une évidence»

«C'est bien beau, mener des études, mais c'est une évidence, dit le président de la chambre de commerce et d'industrie de la Rive-Sud, Martin Fortier. Certaines personnes vont accepter de payer pour traverser le futur pont, mais la majorité des gens vont tout faire pour l'éviter.»

M. Fortier affirme que les entreprises seront frappées de plein fouet par un tel scénario. Personnel en retard, délais pour l'approvisionnement, la Rive-Sud deviendrait une destination beaucoup moins attrayante pour les entrepreneurs, soutient-il.