Le renseignement, c'est le nerf de la guerre. Chaque nuit depuis cinq ans, les 40 policiers de l'escouade Éclipse visitent les établissements qui ont un permis d'alcool dans la métropole pour prévenir le crime et servir d'éclaireurs dans la lutte constante contre le crime organisé à Montréal. Une équipe de La Presse les a suivis durant plusieurs heures mercredi dernier lors d'une patrouille marquée à la fois par le respect et l'intimidation...

21h30

Après le fall-in quotidien tenu dans leur local, entre les quatre murs dits «des célébrités» car tapissés de centaines de photos de plusieurs «sujets d'intérêt», les policiers d'Éclipse quittent leur quartier général du nord de Montréal à destination d'un bar de la rue Fleury Ouest.

Ce sont les patrouilleurs du PDQ (poste de quartier) local qui les ont avisés que des individus avaient intimidé des clients. Les membres d'Éclipse cernent le bar en postant une voiture devant la porte arrière. Sous le regard étonné des clients qui sirotent une bière sur la terrasse, on fait irruption dans le bar. Mais tout est calme, et le problème, déjà résolu. Chou blanc.

21h45

Un policier se dit que ce serait une bonne idée de visiter un complexe de HLM réputé pour abriter de jeunes flâneurs et situé tout près. À la vue des membres d'Éclipse, quatre suspects prennent leurs jambes à leur cou. Ils sont interceptés plus loin sur le trottoir et questionnés. Mais un groupe d'une dizaine de jeunes assiste à la scène et certains s'approchent pour se confronter aux policiers. Les choses se corsent.

«Ils n'ont rien fait. C'est du profilage racial et de l'intimidation ça, chummy», dit l'un des jeunes au responsable du groupe.

«Je trouve que tu n'as pas une bonne attitude», répond ce dernier, en créole.

«C'est ma langue ça, chummy, tu n'as pas le droit de me parler comme ça. Parle-moi français», répond l'autre. D'autres inquiétantes silhouettes s'agglutinent. La tension monte au rythme des insultes qui fusent. Les choses sont à deux doigts de dégénérer lorsque deux policiers d'Éclipse s'avancent résolument vers le meneur en menaçant de l'arrêter. Les choses se calment et les deux clans se replient.

22h

En faisant des recherches machinalement sur la plaque d'immatriculation d'un automobiliste qui roule devant eux, des membres de l'escouade constatent que le conducteur, un type condamné pour leurre d'enfants, ne respecte pas les conditions de sa probation. Ils l'interceptent, fouillent méticuleusement la voiture et trouvent des stupéfiants. L'homme est arrêté.

22h15

Le reste du groupe, dont les représentants de La Presse, entre dans un club de danseuses du boulevard Pie-IX fréquenté par des sujets d'intérêt. Un peu décontenancée, la demoiselle qui s'exécute sur la scène centrale poursuit son numéro, sans grand enthousiasme, devant une poignée de clients dont les yeux sont davantage tournés vers les policiers. Aucun sujet d'intérêt. Re-chou blanc.

22h45

Direction rue de la Montagne, dans un nouveau bar branché.

«Salut, ça va?», demandent les portiers aux policiers d'Éclipse en leur serrant la main.

Le respect qui existe entre les policiers de l'escouade et le personnel des différents bars visités est frappant. Plus tard, un gérant leur offrira des bouteilles d'eau.

«Jamais les policiers d'Éclipse se font refuser un accès», dit un sergent.

«Ils peuvent venir ici quand ils veulent, ils sont les bienvenus. Lorsqu'ils entrent, des clients ont peur et ils croient que c'est une descente, mais on leur dit: "Non, non, c'est le groupe Éclipse˝», dira un gérant de club de danseuses plus tard dans la soirée.

23h15

Autre visite dans un populaire bar de danseuses de la rue Stanley. Les filles sont plus nombreuses que les clients. Là encore, rien pour écrire à sa mère sauf un petit salut de la main en passant à un boxeur connu aperçu à l'extérieur.

Minuit

On tente notre chance dans un bar de la rue Ontario, dans Hochelaga-Maisonneuve, où la faune est habituellement intéressante. Un couple joue paisiblement au billard. Un chevelu regarde la télévision en tétant sa bouteille.

«Tabarnouche, c'est mort, j'ai rarement vu ça», dit le responsable, un peu penaud.

Mort, on croyait que notre chien l'était aussi, jusqu'à notre ultime visite dans un bar de danseuses du nord de Montréal déjà contrôlé par la mafia.

1h

On entre. Les policiers interpellent quelques hommes d'origine haïtienne très respectueux au bar. Soudain, un homme habillé à la mode et portant une sacoche en bandoulière traverse la salle, indifférent aux charmes féminins qui l'entourent.

«C'est Gregory Woolley», dit un policier qui amorce la conversation avec celui que la police considère comme un allié du parrain de la mafia Vito Rizzuto et le roi du centre-ville de Montréal.

La discussion, amicale, se poursuit durant 10 minutes. Woolley parle, mais ne dit rien. Il sourit et est détendu jusqu'à ce qu'il aperçoive notre photographe.

«Ce sont des journalistes, tu veux leur parler?», demande un agent. «Sans façon», répond Woolley, en quittant les lieux, non sans donner rendez-vous aux policiers d'Éclipse dans un restaurant du centre-ville le jeudi suivant.

2h

On rentre à la maison.