Courtois envers les femmes enceintes, les usagers du métro? Pour le savoir, nous avons arpenté le réseau de la STM avec une jeune mère en devenir.

Station Beaubien 7h14, ligne orange

L'heure de pointe bat son plein. Maryse entre dans le wagon bondé. Toutes les places assises sont prises. Une étudiante occupe celle réservée aux gens à mobilité réduite. Elle pianote sur son téléphone intelligent sous l'affiche ornée de pictogrammes représentant une personne âgée, un non-voyant et une femme enceinte. Le métro s'ébranle, Maryse s'agrippe à une barre, ses six mois de grossesse bien en évidence. Le visage d'un jeune homme assis est d'ailleurs à quelques pouces de sa bedaine. Le passager lève furtivement les yeux, puis les replonge aussitôt dans son livre. Une station plus tard, Maryse lui tape sur l'épaule. «Ça te dérangerait de céder ta place?» - «Oh!», s'exclame le passager, feignant la surprise.

Station Mont-Royal

Une seule place est libre à l'ouverture des portes. Une jeune femme s'y précipite. Maryse s'accroche à la barre près d'elle, sous le nez d'un autre passager, qui semble davantage interpellé par notre photographe en train de discrètement immortaliser la scène avec son iPhone. La jeune femme se lève à la station Sherbrooke, un jeune homme se précipite sur son siège. Maryse ne pourra s'asseoir qu'à la station Berri-UQAM, lorsque le wagon se videra.

Ligne verte direction Angrignon

Une jeune femme cède rapidement sa place à Maryse. Moins de chance pour cette autre passagère, d'une soixantaine d'années, qui fait le trajet debout en agrippant à deux mains le poteau, sans que les autres passagers - dont plusieurs pourraient être ses petits-enfants - ne bougent.

Station Laurier

Maryse est la seule passagère debout dans le wagon. Les autres lisent, somnolent, pitonnent, tricotent même. Une passagère se lève enfin une station plus tard. Maryse se dirige vers le siège, mais se fait doubler par une autre jeune femme, les yeux vissés dans Fifty Shades of Grey. «Est-ce que ça te dérangerait?», demande Maryse en frottant sa bedaine. La passagère esquisse un sourire gêné, se lève, agrippe un poteau et se replonge dans les aventures masochistes d'Anastasia Steele.

Station Sherbrooke

Une femme dans la soixantaine cède sa place à Maryse puis un jeune homme cède instantanément la sienne à la bonne samaritaine. L'espoir renaît. Plusieurs démonstrations de solidarité féminine ont aussi marqué l'expérience. Le métro vient à peine de s'ébranler de la station Berri-UQAM, qu'une jeune femme tapote l'épaule d'un solide gaillard en complet assis, un casque d'écoute sur les oreilles. «Peux-tu lui laisser ta place, svp?», demande-t-elle, sur un ton qui exclut tout refus.

À quelques stations de là, il faut attendre avant qu'une personne ne daigne se lever pour céder sa place. Et le geste courtois ne vient pas du jeune homme qui a lorgné plusieurs fois Maryse à la dérobée, mais bien d'une menue femme dans la soixantaine. «Pauvre toi, prends ma place! Je suis grand-mère, je sais ce que c'est, même si ça fait longtemps...»

Retour à Berri-UQAM

Un jeune homme aperçoit de loin Maryse à travers le wagon bondé. Il se lève aussitôt et fait le guet debout devant le siège libre, en s'assurant que personne d'autre ne le volera. L'heure de pointe achève.

Bilan

Le fils de Maryse naîtra dans un monde courtois, mais surtout grâce aux femmes, dont plusieurs semblent être passées par là. Et bien souvent, le geste courtois d'un valeureux passager réchappait l'indifférence de tous les autres.

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Trois femmes enceintes témoignent

«Courtois, les usagers du métro? Pas spontanément, il faut souvent chercher à avoir un contact visuel avec des gens qui font tout pour regarder ailleurs», dit Geneviève enceinte de 8 mois.

«Les gens font tout pour regarder ailleurs et moi je n'ose pas trop demander aux gens», affirme Johanne Fontaine enceinte de 28 semaines. «C'est pire durant l'heure de pointe», ajoute celle qui estime à «50/50» ses chances de tomber sur un bon samaritain. 

«Contrairement aux idées reçues, les jeunes me cèdent toujours leur place. J'ai plus de misère avec les plus vieux, qui semblent compétitionner pour savoir qui est le plus mal en point», dit Mireille Melançon à moins d'un mois de son accouchement.

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Céder ou ne pas céder sa place? Là est la question... 

Faire preuve de courtoisie est à la source d'intenses débats intérieurs, croit Vincent Paris, professeur de sociologie au cégep de Saint-Laurent et auteur. «L'enjeu de toute forme d'interaction est de ne pas perdre la face», explique le sociologue, qui définit la courtoisie comme une sorte de calcul froid et rationnel.

«L'individu calculateur choisira la courtoisie pour éviter de perdre la face, au prix de l'inconfort», croit le sociologue. Aussi, «être courtois» permet à l'individu de s'éviter de perdre du temps à négocier, à argumenter, à justifier son choix de rester assis. Bref, les gens sont courtois pour «économiser» du temps et du stress, puisque passer plusieurs stations à faire «comme si l'on n'a rien vu» demande beaucoup d'investissement.

Bien sûr, il existe de bons samaritains, gentils, altruistes et toujours disposés à céder leur place en tout temps. Mais il n'y a pas de méchants passagers non plus, souligne Vincent Paris. «Ce ne sont pas des délinquants! Ils n'enfreignent aucune loi. Ce sont des déviants. Des individus qui vont à l'encontre de normes admises en société.» 

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Plaintes à la STM

La Société de transport de Montréal a lancé en 2012 une vaste campagne de sensibilisation au civisme à l'intérieur de ses wagons et autobus.

Neuf plaintes ont été déposées pour dénoncer des passagers qui ont refusé de céder leur siège à des femmes enceintes en 2012.

Six plaintes semblables ont été déposées en date du 31 mai 2013.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Notre journaliste Maryse Tessier.