Gérald Tremblay a passé près de 11 ans à la mairie de Montréal. Au-delà des allégations de malversations qui ont entaché la fin de son administration, quel bilan peut-on dresser de son passage à l'hôtel de ville? La Presse a posé la question à des experts dans six sphères d'activité. Le maire sortant obtient quelques bonnes notes, mais son bulletin compte aussi plusieurs mentions d'échec.

Éthique: «Un échec»

Sans surprise, le bilan des années Tremblay en matière d'éthique est celui qui est le plus facile à tracer, selon deux experts. «C'est un échec, tranche Yves Boisvert, professeur en éthique à l'École nationale d'administration publique (ENAP). Jusqu'à la dernière minute, il n'a jamais reconnu le principe de responsabilité. Son discours de victimisation est irrecevable.» À partir de 2009, Gérald Tremblay ne pouvait plus prétendre ne pas être au courant, estime l'éthicien. «Et pourtant, il n'a pas fait d'effort sur ce plan. Au contraire! Il a tout fait pour trucider le vérificateur général, il lui a enlevé la ligne éthique et il a implanté un poste de conseiller à l'éthique... une journée par semaine. C'est le temps qu'il lui faut pour prendre ses courriels et vider sa boîte vocale...» L'ex-maire s'est contenté de faire «de la gestion d'image de l'éthique» au lieu de s'attaquer aux problèmes, soutient-il. «Quand on fait ça, c'est la preuve qu'on ne veut pas que ça fonctionne. Sa naïveté, je ne l'achète pas, elle n'est pas crédible.»

L'inaction de Gérald Tremblay représente même un «déni de démocratie», puisque c'était à lui de s'assurer qu'il confiait des mandats à des personnes intègres. «En niant, il devient complice», soutient M. Boisvert.

Même constat sévère de la part de Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. «L'éthique a été un échec assez important pour M. Tremblay. On n'a pas établi de normes de transparence, il n'a pas réussi à bâtir une culture de l'éthique. Il n'y avait pas de message d'en haut disant ce qui était acceptable.»

Démocratie: «Des efforts, peu de réalisations»



Création du poste d'ombudsman, possibilité pour les Montréalais de s'opposer par référendum aux projets, mise sur pied d'un office de consultation publique: Gérald Tremblay s'est toujours montré particulièrement fier de ses réalisations pour «redonner une voix aux citoyens».

Pourtant, Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, est peu impressionné. «On a une démocratie très brouillonne et fragmentée entre les arrondissements. Oui, on a mis en place des structures, mais est-ce que ça a permis de véhiculer de grands débats? Non.»

Avec le recul, M. Nadeau avoue son incapacité à énumérer les réalisations concrètes de l'administration Tremblay. Les référendums et les signatures de registre? «Dans beaucoup de villes du Québec, les changements de zonage doivent être approuvés et peuvent faire l'objet d'un référendum. Montréal a fait comme les autres.»

Les grands projets comme le Quartier des spectacles ont bien fait l'objet de consultations. «Mais on est loin d'une bonne démocratie, qui n'est pas la possibilité pour tout le monde de s'exprimer dans la cacophonie. Il faut avoir un cadre où on discute de grands enjeux. Je ne vois pas les grands débats, les propositions de M. Tremblay. J'essaie de voir les ballons qu'on l'a vu porter.»

L'expert en gouvernance reconnaît tout de même que l'ex-maire «a fait des efforts», mais rappelle une autre tache à son dossier, son conflit avec le vérificateur général. «Non, la démocratie, ça n'a pas été la marque de commerce de l'administration Tremblay. Je lui donne tout au plus un B-.»

Social: Le laisser-faire

Sur le plan social, Annick Germain, professeure de sociologie urbaine à l'INRS, n'a pas de très bons mots pour l'administration Tremblay. Ce règne a été marqué, dit-elle, par un laisser-faire en général, «par une prolifération de condos n'importe où», sans quelque vision urbanistique que ce soit, à un point tel où Gérald Tremblay a même presque fait disparaître le service d'urbanisme de la Ville, déplore-t-elle. François Saillant, champion du logement social au Front d'action populaire pour le réaménagement urbain, n'est pas plus positif. «Avec les maigres budgets que lui consentaient les autres ordres gouvernementaux, il a fait ce qu'il a pu pour le logement social, mais pas plus», juge M. Saillant, qui déplore que les familles trouvent de moins en moins d'appartements qui leur conviennent dans l'île.

Gérald Tremblay avait une réelle préoccupation pour les sans-abri, surtout après l'histoire des abris de fortune qu'il a fallu détruire en plein hiver, rappelle Pierre Gaudreault, coordonnateur au Réseau d'aide pour les personnes seules et itinérantes. N'empêche, s'il était conscient de l'importance du maintien de maisons de chambres, au final, on en a détruit davantage qu'on en a créé, et ce, alors que le maire avait tous les pouvoirs pour agir, croit M. Gaudreault.



Économie: Les mains liées



Les leviers dont dispose un maire pour stimuler l'économie de sa ville sont si limités qu'on peut difficilement critiquer Gérald Tremblay pour le manque de dynamisme de Montréal, croit Mario Lefebvre, directeur du Centre des études municipales du Conference Board du Canada. «Les villes n'ont même pas le droit de faire de déficit», rappelle M. Lefebvre. Et ce n'est pas comme si elles pouvaient cesser de ramasser les poubelles pour garder plus d'argent pour un programme économique quelconque. Les poubelles, il faut bien les ramasser.»

Gérald Tremblay n'a rien eu à voir avec le dollar qui s'est envolé sous son règne et qui a tant nui au secteur manufacturier, rien eu à voir avec le 11-Septembre qui a mis à mal les secteurs aéronautique et aérospatial. Il y a eu récession, pour lui comme pour les autres, dit M. Lefebvre.

Carlos Leitao, économiste en chef de la Banque Laurentienne, se montre tout aussi indulgent, et rappelle que le maire Tremblay a dû se débrouiller dans le feuilleton des fusions-défusions. «Montréal, c'est une bête difficile à gérer», dit M. Leitao, qui souligne lui aussi par ailleurs l'impact de l'effondrement du secteur manufacturier.

«Si l'on ne fait pas référence à la question des contrats publics, il aurait été difficile de faire mieux», croit M. Leitao.

Transports: Rendez-vous manqués

Dès le lendemain de sa première élection, en 2001, Gérald Tremblay s'est opposé au projet de Québec de transformer la rue Notre-Dame en une autoroute, dans l'est de Montréal, et il a étendu les tarifs réduits des transports en commun aux étudiants jusqu'à l'âge de 25 ans. Durant un moment, on a pu croire que Montréal, en matière de transports, amorçait un virage décisif vers la modernité urbaine.

«Mais ce qu'il a livré ensuite est bien en deçà des attentes qu'il avait suscitées», juge Normand Parisien, directeur général de Transports 2000 Québec, groupe de promotion des transports collectifs.

Dès 2003, la vision exprimée par le maire Tremblay «s'est fissurée», quand la STM a imposé deux augmentations de tarifs dans une même année pour combler un trou dans ses finances.

«Depuis, les hausses dépassent chaque année le taux d'inflation, sans compensations à l'usager. Le tramway n'a pas avancé. On nous avait présenté, en 2005, un plan de mesures préférentielles pour autobus, qui ne s'est pas matérialisé.»

L'ambitieux Plan de transport de 2008 n'a pas été mis en oeuvre et les améliorations apportées aux services d'autobus et au métro «sont surtout attribuables à la Politique sur les transports collectifs» du gouvernement du Québec. «C'est un bilan modérément favorable, dit M. Parisien. Ce n'est pas la bonne volonté qui manquait, mais en pratique, les résultats sont très limités.»

Culture: Un «facilitateur qui allait au bâton»



La culture, «c'est un cheval que Gérald Tremblay a de toute évidence enfourché: c'est quelqu'un qui nous écoutait, qui s'enthousiasmait pour les projets rapidement, et qui s'en occupait», estime Simon Brault, président de Culture Montréal.

Acteur incontournable de la scène culturelle montréalaise, M. Brault n'hésite pas à donner une note «globalement positive» à l'ex-maire de Montréal. À son arrivée en politique municipale, en 2001, il n'avait qu'une compréhension «essentiellement économique» de la culture.

«Il a fait ses classes rapidement et il a commencé à s'intéresser à tout ce qui était création, design, dans une vision plus large que la seule industrie culturelle. Il a indéniablement travaillé en dialogue et en collaboration avec le milieu de la culture montréalais. Il a adopté une approche de concertation.» Gérald Tremblay était «moins un idéateur qu'un facilitateur, quelqu'un qui allait au bâton», illustre M. Brault.Ce modèle montréalais «original», qui permet à des représentants des milieux d'affaires, de la culture et des gouvernements de s'asseoir autour d'une même table, «ce n'était pas l'idée de Gérald Tremblay, mais il l'a adoptée rapidement». Pour Simon Brault, il s'agit d'un héritage majeur, «aussi important que le Quartier des spectacles ou le BIXI». La culture à Montréal se porte mieux aujourd'hui qu'il y a une décennie, estime le directeur général de l'École nationale de théâtre. «On a fait un rattrapage spectaculaire dans les bibliothèques publiques. Même s'il y a encore des inégalités, il y a une meilleure péréquation culturelle à la grandeur de l'île, que ce soit pour les bibliothèques, les salles de spectacle, les maisons de la culture. Il y a eu du progrès.»