Le français poursuit son déclin à Montréal, au Québec et dans le reste du pays, selon les chiffres du recensement 2011 révélés mercredi par Statistique Canada.

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Dans la région de Montréal, la proportion de gens qui ne parlent que le français à la maison a diminué de 62,4% en 2001 à 59,8% en 2006, puis à 56,5% en 2011.

Dans l'ensemble du Québec, la population qui parle seulement le français à la maison a aussi connu un repli, passant de 75,1% en 2006 à 72,8% l'an dernier.

À l'échelle du Canada, la proportion de gens dont la langue maternelle est le français a diminué entre 2006 et 2011, passant de 22,1% à 21,7%. Un déclin amorcé il y a longtemps: en 1951, les francophones formaient 29% de la population canadienne.

Ce recul - qui s'explique surtout par un faible taux de fécondité des francophones et par une forte immigration au pays - inquiète les ténors du gouvernement péquiste, qui ont insisté sur l'importance de renforcer les mesures de protection du français lors de la récente campagne électorale.

Le ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, a ainsi réclamé mercredi une Charte de la langue française plus musclée, car ces chiffres démontrent selon lui que «la pérennité de la nation n'est pas assurée».

Mais d'autres statistiques tirées du recensement sont plus encourageantes pour l'avenir du français à Montréal. Des experts y voient d'ailleurs le reflet d'une réalité linguistique plus fluide et complexe qu'autrefois - et invitent les décideurs à cesser de se baser sur la langue d'usage à la maison pour en tirer des conclusions alarmistes.

Ainsi, les immigrés semblent de plus en plus nombreux à opter pour le français dans la région de Montréal. En 2011, ceux qui parlaient le français et une autre langue que l'anglais à la maison comptaient pour 8,7% de la population, en hausse par rapport à 5,2% en 2001 et 6,7% en 2006.

L'anglais, pour sa part, n'a pas gagné de terrain: la population qui s'exprime uniquement dans cette langue à la maison est passée de 10,8% en 2006 à 9,9% en 2011 dans la région métropolitaine.

Au pays, le nombre de Canadiens pouvant s'exprimer dans les deux langues officielles s'est accru de 350 000 personnes pour s'établir à 17,5%. Cette hausse est principalement due à l'augmentation du bilinguisme au Québec.

Pour Daniel Weinstock, professeur de droit à l'Université McGill, ces chiffres sont de bon augure, dans la mesure où ils démontrent «une certaine résilience du français devant les phénomènes de fluidité linguistique qui caractérisent la planète».

Patricia Lamarre, professeure à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, y voit aussi un phénomène «sain». Elle souligne que dans une métropole de plus en plus diversifiée, multiculturelle et branchée sur le monde, les gens ont tendance à vivre, étudier et travailler dans plusieurs langues.

«On a tendance à mesurer le succès du français au Québec par le nombre d'unilingues francophones, déplore-t-elle. Il y a un non-sens dans tout cela, teinté d'une idéologie assimilationniste qui date du XXe siècle, celle du melting pot américain.»

M. Weinstock juge aussi qu'il y a «quelque chose d'excessif à se préoccuper de la langue parlée à la maison, comme si cela pouvait devenir un objet de politique publique».

Selon lui, l'époque des deux solitudes est révolue - et la loi 101 a porté ses fruits. «Je m'inquiète de la cécité dont font preuve certaines personnes, incapables de reconnaître les progrès du français au Québec depuis 40 ans, dit-il. Autrefois, c'était la langue des porteurs d'eau. Aujourd'hui, c'est celle de la réussite.»

Les chiffres du recensement n'ont rien pour justifier un tel enthousiasme, croit pourtant le démographe Marc Termote, de l'Université de Montréal. «Les tendances se vérifient et malheureusement, il faut bien s'attendre à ce qu'un jour, [le français parlé à la maison à Montréal] passera sous la barre des 50%.»

Évidemment, l'État ne peut dicter aux gens la langue d'usage à la maison, ajoute-t-il. «Mais peut-on s'imaginer qu'on continuera à observer cette baisse des francophones alors que dans le domaine public, l'utilisation du français augmentera?»

Sans être d'accord, M. Weinstock admet qu'on peut faire dire tout et son contraire aux chiffres. «On peut faire un portrait alarmiste ou rassurant. Tout dépend de la manière dont on mesure les choses.»