Mêmes bureaux, noms semblables, même numéro de téléphone, propriétaire commun, mais licence de construction différente. L'entreprise Terramex Aménagement Urbain a décroché un important contrat avec la Ville de Montréal, même si une entreprise soeur, coupable de fraude fiscale, n'a pas le droit d'obtenir de contrats publics jusqu'en 2015.

La Ville de Montréal vient de retenir les services de Terramex Aménagement Urbain pour poursuivre les travaux de réaménagement dans le Quartier des spectacles. L'entreprise touchera ainsi 3,4 millions pour, notamment, refaire la rue Jeanne-Mance, entre René-Lévesque et Sainte-Catherine.

Mais l'entreprise est une société soeur de Terramex, qui a été reconnue coupable de fraude fiscale en 2010. Selon Revenu Canada, cette firme a présenté pour 280 000$ de fausses factures entre 2002 et 2004 afin d'éviter de payer près de 60 000$ d'impôt.

La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) avait imposé une suspension de licence de sept jours à l'entreprise, mais la clémence de la peine en avait choqué plusieurs. La ministre du Travail, Lise Thériault, s'était dite «surprise» et «déçue». Le commissaire de l'Unité permanente anticorruption, Robert Lafrenière, avait quant à lui qualifié cette peine d'«aberration».

Le gouvernement a depuis resserré les règles en adoptant le projet de loi 35, qui interdit à toute entreprise condamnée pour fraude fiscale - ainsi que ses entreprises liées - de décrocher des contrats publics pendant cinq ans. Terramex a ainsi perdu le droit de répondre aux appels d'offres publics jusqu'en 2015. Trois autres entreprises partageant les mêmes propriétaires ont aussi été inscrites à la liste noire de la Régie du bâtiment du Québec.

Important contractant

Avant de voir sa licence restreinte, Terramex était un important contractant pour la Ville de Montréal. Depuis 2006, l'entreprise a décroché au moins 31 contrats, pour une valeur de 41 millions. Elle a notamment refait la place d'Armes et obtenu plusieurs mandats pour le réaménagement du Quartier des spectacles. Le robinet a toutefois été fermé en décembre 2011 avec l'entrée en vigueur de la loi contre la fraude dans l'industrie de la construction (35).

Par la suite, Luc Bédard, un des propriétaires, a fondé une nouvelle entreprise en février 2012 avec un autre partenaire: Terramex Aménagement Urbain. L'entreprise au nom similaire a beau partager les mêmes locaux, la même ligne téléphonique et les mêmes adresses électroniques, elle a réussi à éviter d'être contaminée par la feuille de route Terramex.

Pour y arriver, elle a inscrit dans sa demande de licence à la RBQ seulement le nom du nouvel investisseur, Patrick Lapointe, qui ne figure pas parmi les propriétaires de Terramex. En mars, l'entreprise a ainsi pu obtenir une licence sans aucune restriction.

«On fonctionne avec le cadre légal qui nous est imposé et avec les informations dont nous disposons, il n'y a pas de raison qui justifiait d'émettre une licence restreinte», a indiqué Sylvain Lamothe, porte-parole de la RBQ. La Régie explique avoir sa propre définition de dirigeant, qui diffère de celle employée par le registre des entreprises. Cette différence a permis à Terramex Aménagement Urbain d'éviter de mentionner la présence de Luc Bédard parmi ses propriétaires, ce qui l'aurait empêchée de décrocher des contrats publics.

Depuis qu'elle a sa licence en main, Terramex Aménagement Urbain participe aux appels d'offres de la Ville de Montréal. En juin, l'entreprise est passée bien près de décrocher le contrat pour refaire le bassin du lac au Castor, un mandat de 8,3 millions. L'entreprise avait fait l'offre la plus basse, mais elle a été disqualifiée, puisque sa licence de construction ne l'autorisait pas à réaliser certains travaux prévus au chantier. Le contrat dans le Quartier des spectacles attribué la semaine dernière serait son premier depuis la création de l'entreprise, selon nos recherches.

La Ville de Montréal assure avoir fait toutes les vérifications nécessaires pour s'assurer que l'entreprise ne figure pas sur la liste noire de la RBQ. «Son siège social ou ses liens avec d'autres entreprises ne constituent pas un motif d'exclusion de sa soumission au sens de la loi actuelle», souligne Gonzalo Nunez, porte-parole de la Ville.

Loi contournée

En juin, l'administration Tremblay avait déploré la présence de failles dans la loi contre la fraude, qui permettent de la contourner. «Certaines entreprises se sont organisées pour se soustraire à l'esprit de la loi, bien qu'elles en respectent la lettre», a écrit le maire au ministre des Affaires municipales. Il demandait donc un «resserrement de la loi, notamment quant aux règles visant les administrateurs des compagnies».

Outre Terramex Aménagement Urbain, 10 entreprises ont demandé les documents nécessaires pour répondre à l'appel d'offres relativement à la reconstruction de la rue Jeanne-Mance. Une seule d'entre elles a déposé une proposition. La Ville a tenté de savoir pourquoi si peu de firmes ont répondu, mais quatre des entreprises ont refusé de s'expliquer. Parmi les cinq qui ont répondu aux questions, deux ont dit avoir commandé les documents simplement pour travailler en tant que sous-traitants. Deux autres ont invoqué un manque de temps. Enfin, la dernière «a invoqué son manque de confiance dans ce système de qualification», peut-on lire.