Le barrage de Cornwall-Messina, en amont du lac Saint-François, relâche des milliers de mètres cubes d'eau depuis jeudi afin de permettre à un navire de parvenir au port de Montréal. C'est un des nombreux signes que les usagers du fleuve Saint-Laurent doivent composer cette année avec des niveaux exceptionnellement bas.

«Nous avons augmenté le débit à 6860 mètres cubes par seconde pour 28 heures pour un navire qui est attendu à Montréal vendredi à 16h», affirme Gail Faveri, secrétaire du Conseil international du contrôle du fleuve Saint-Laurent.

Cet organisme fait partie de la Commission mixte internationale, l'agence canado-américaine qui gère les eaux limitrophes.

«C'est simple: il manque de pluie, dit Mme Faveri. Cette année, la rivière des Outaouais manque de débit. La neige a fondu tôt et le printemps a été extrêmement sec et chaud. Il y a beaucoup d'évaporation. Aussi, le niveau du lac Ontario est un peu plus bas que la moyenne.»

Près des records

Le bas niveau du fleuve frôle les records pour le mois de juillet, sans pour autant battre les records absolus. C'est habituellement entre septembre et novembre qu'on observe les niveaux les plus bas.

Jeudi, on a égalé le niveau record en 100 ans pour le mois de juillet, datant de 1965.

N'empêche qu'il est rare que le niveau soit sous le zéro des cartes de Montréal à Trois-Rivières, comme il l'était jeudi, souligne Denis Lefaivre, chercheur scientifique au Service hydrographique du Canada.

«Les pilotes professionnels s'ajustent, mais en navigation de plaisance, il y a beaucoup de capitaines et leur expérience varie, dit-il. On voit une forte corrélation entre le niveau de l'eau et le nombre d'échouements.»

L'année 2012 ne ressemble en rien à 2011, marquée par les inondations du Richelieu, mais rappelle 2010, exceptionnellement sèche elle aussi.

Y a-t-il un lien avec les changements climatiques? «Il faut continuer d'accumuler les observations, mais une plus grande variabilité dans le système est compatible avec les prévisions de changements climatiques», dit M. Lefaivre.

Le manque d'eau est durement ressenti au lac Saint-Pierre. «Cela va toucher surtout les poissons, dit Maryse Longchamps, biologiste au Comité ZIP du lac Saint-Pierre. La crue a été hâtive et aussi moins forte. Cela un impact par exemple sur la perchaude qui a besoin des herbiers pour se reproduire.»

Partout le long du fleuve, des espèces invasives comme le roseau et la renouée japonaise pourraient profiter de l'assèchement des berges pour s'installer à demeure.

«Quand la renouée japonaise s'installe, elle ne laisse pas de place à d'autres, dit Sylvie Bibeau, du Comité ZIP Jacques-Quartier. Elle détruit la biodiversité et elle bloque l'accès à l'eau.»

Traverser la rivière des Mille-Îles à pied

Les rapides du Moulin ne portent pas très bien leur nom, ces jours-ci. Le niveau de la rivière des Mille-Îles est si bas que même les canards doivent poser les pattes au sol pour pouvoir aller barboter un peu plus loin.

Au milieu du cours d'eau qui sépare Terrebonne de Laval, des enfants s'amusent sur les pierres brunes que la baisse du niveau a révélées, passant à pied d'une rive à l'autre.

«Pour la période, le niveau est très bas, dit Pierre Bureau, résidant de longue date de Terrebonne. Bas comme ça, c'est au mois d'août, habituellement. À ce temps-ci de l'année, c'est rare.»

La rivière des Mille-Îles est cruciale: elle compte neuf prises d'eau potable desservant des centaines de milliers de personnes. Son débit est entièrement dépendant de celui de la rivière des Outaouais.

D'ailleurs, après le printemps sec de 2010, le gouvernement du Québec avait ordonné des travaux d'urgence au seuil de cette rivière afin de garantir un débit minimal de 28 mètres cubes par seconde. Cette année-là, le débit était tombé à 11 mètres cubes, alors que les aqueducs à eux seuls en retirent 5.

«L'étiage plus sévère arrive au mois d'août, dit Elsa Dufresne, directrice du Comité des bassins versants des Mille-Îles. Si la période sans pluie se maintient, ça va nous permettre de voir si les travaux portent leurs fruits.»

Le directeur des opérations chez Hydro Météo, Pierre Corbin, confirme: «Ce sont des situations qu'on connaît généralement à la fin du mois d'août ou même au début du mois de septembre.»

Avec un débit de 36 mètres cubes par seconde, la rivière des Mille-Îles frôle le minimum historique. À la mi-juillet, le débit moyen de cet affluent du fleuve Saint-Laurent est d'environ 130 mètres cubes par seconde.

Si le temps relativement sec se poursuit, le niveau du Saint-Laurent et de ses affluents pourrait devenir inquiétant. «Mais personne ne peut garantir qu'on n'aura pas un mois d'août pluvieux», conclut Pierre Corbin, un souhait que ne partagent peut-être pas ceux qui prennent leurs vacances à la fin de l'été.