Un clan lié à la pègre irlandaise a pris le contrôle d'une des plus importantes firmes d'effacement de graffitis du Grand Montréal depuis trois ans, ce qui lui assure de généreux contrats municipaux, a appris La Presse.

Selon le témoignage d'un policier, c'est en enquêtant sur l'infiltration des Hells Angels dans l'économie légale que la Sûreté du Québec (SQ) a découvert la situation.

Des conversations interceptées par la police en 2008 ont révélé que les propriétaires de la firme de nettoyage AV-NET s'étaient lourdement endettés en contractant un prêt usuraire à 60% auprès d'un certain John Mckenzie, du tristement célèbre gang de l'Ouest.

Cette bande de criminels à prédominance irlandaise s'est fait connaître pour des braquages de camions blindés et l'importation de drogue via le port de Montréal. Il y a deux semaines à peine, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a fait le lien entre le gang et une saisie de 43 tonnes de haschich.

L'enquête de la SQ a démontré que, pour rembourser leurs dettes, les propriétaires ont été contraints de céder à John Mckenzie et à des membres de sa famille leurs deux entreprises: un pub irlandais à Saint-Eustache et AV-NET.

1,7 million à Montréal

En prenant possession d'AV-NET, le clan Mckenzie a mis la main sur une entreprise bien établie dans le nettoyage de graffitis qui avait la confiance des autorités municipales.

«C'était la meilleure entreprise», soutient Jérôme Vaillancourt, directeur général de la Corporation de développement urbain du Faubourg Saint-Laurent (CDU-FSL).

Sur son site web, AV-NET prétend être «la compagnie qui enlève le plus de graffitis au Québec».

À Montréal seulement, La Presse a calculé que la firme avait obtenu pour 1,7 million de dollars de contrats municipaux depuis 2009, année de la prise de possession par le clan Mckenzie.

L'entreprise a aussi raflé le contrat de la Ville de Brossard et fait affaire sporadiquement avec la Société immobilière du Québec, bras immobilier du gouvernement.

Partenaire du caïd Richard Griffin

La SQ ne peut empêcher une entreprise liée au crime organisé de soumissionner ces contrats. Elle peut toutefois agir devant la Régie des alcools dans le cas d'un débit de boisson. C'est ce qu'elle a tenté de faire avec le Pub O'Neills, à Saint-Eustache.

La Presse a obtenu la preuve dans cette affaire. L'enquêteur Dominique Alain a détaillé longuement les liens criminels de John Mckenzie, qu'il a désigné comme le prêteur principal qui a extorqué les deux commerces aux anciens propriétaires.

John Mckenzie, 42 ans, et son père, feu James Patrick McKenzie, sont fichés par la police depuis des années comme étant liés au gang de l'Ouest, selon le policier. Ils sont connus pour tremper dans le prêt usuraire, un crime difficile à établir puisque les victimes se disent souvent consentantes.

John Mckenzie n'a qu'un vieil antécédent de voies de fait à son actif, mais il a déjà été placé sur écoute par la SQ, qui a découvert ses liens avec un prêteur usuraire notoire, Robert Baillargeon.

Mckenzie a par ailleurs été désigné comme suspect dans trois enquêtes criminelles liées au prêt sur gages, notamment dans une histoire de voies de fait où il était en compagnie de Richard Griffin, selon l'enquêteur Dominique Alain.

Griffin n'est pas n'importe qui. À une certaine époque, il était connu comme l'un des plus grands importateurs de cocaïne du gang de l'Ouest. Son nom revient à répétition dans la preuve de l'opération antimafia Colisée. Sa fin a été brutale: en 2006, un tueur l'a abattu de 40 balles devant chez lui.

John Mckenzie ne cache pas ses liens avec le caïd. Interrogé par la police, il a avoué qu'il était son partenaire et son «ami pour la vie».

«Pour moi, juste ce lien vaut beaucoup», a déclaré Dominique Alain.

Une affaire de famille

John Mckenzie n'est pas inscrit comme propriétaire d'AV-NET, mais tout converge vers lui.

L'entreprise appartient officiellement à Isabelle Roy, présentée comme sa conjointe devant le tribunal. Sa mère de 75 ans se déclare copropriétaire de Suntrust Investments, la firme envers laquelle les anciens propriétaires d'AV-NET étaient endettés.

AV-NET loge maintenant à deux adresses: celle de Suntrust, rue Chabanel, et celle du pub irlandais, à Saint-Eustache. Le pub a été cédé à la mère et à la soeur de John Mckenzie en remboursement du prêt. Un employé a indiqué en cour que le pub est une «entreprise familiale» et que John Mckenzie est aussi un des patrons.

Malgré l'épais dossier de la police, les deux femmes ont quand même réussi à convaincre la Régie des alcools de les laisser gérer l'établissement.

La Presse a téléphoné à AV-NET, où la soeur de John Mckenzie nous a confirmé que ce dernier travaille dans le même bureau. «Il n'a rien à voir avec AV-NET, il y a plusieurs compagnies, ici», a-t-elle dit.

La SQ préoccupée

Depuis le changement d'actionnaires, le service d'AV-NET s'est dégradé, selon certains clients.

La CDU-FSL, qui gère le nettoyage des graffitis au centre-ville, n'a pas renouvelé son contrat, après une année «d'enfer» avec AV-NET.

«Ils avaient un sous-traitant mais ne nous l'avaient pas dit. Ils exigeaient 9$ le mètre carré, mais ils payaient un sous-traitant moitié moins pour faire le travail. C'était assez bizarre. Il y a eu perte de qualité», explique Jérôme Vaillancourt. Insatisfait lui aussi, le Plateau-Mont-Royal cherche une solution de rechange pour cette année.

À la SQ, on suit la situation de près.

«L'infiltration de l'économie légale et la tentative de prise de contrôle de segments de marché par le crime organisé sont une préoccupation pour la SQ. En compagnie de nos partenaires, entre autres Revenu Québec et l'Autorité des marchés financiers, nous mettons tout en oeuvre pour contrer ce phénomène», assure le lieutenant Guy Lapointe.