Le maire de Lachine et ex-président du conseil municipal, Claude Dauphin, serait intervenu à de multiples reprises auprès de ses fonctionnaires pour qu'on accorde un «traitement VIP» à une demande de permis effectuée par des «amis personnels».

Ce sont quelques-unes des «allégations très sérieuses» contre M. Dauphin, signalées la semaine dernière par le président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Michael Applebaum. Celui-ci avait justifié son refus de redonner le siège de président du conseil à M. Dauphin par les conclusions d'un récent rapport du contrôleur général sur l'arrondissement de Lachine.

Ce rapport confidentiel, daté du 24 février 2012 et dont La Presse a obtenu des extraits, décrit le comportement du maire Dauphin à partir de l'automne 2010. Les extraits concernent les interventions du maire entourant une demande de certificat d'autorisation pour modifier l'usage d'un immeuble commercial profitant d'un droit acquis, sis au 200, rue Richmond, propriété de la firme Service d'entretien Distinction.

M. Dauphin nie catégoriquement avoir agi de façon irrégulière (voir autre texte). Ses interventions étaient motivées par la perspective d'un investissement prometteur, qui aurait créé des dizaines d'emplois dans un quartier défavorisé de Lachine. «J'admets avoir poussé, mais j'ai fait mon job de maire.»

«Pression indue»

À cette époque, Louise Martell, épouse de l'entrepreneur Fausto Lévy, a tenté à de multiples reprises d'obtenir un changement d'usage. En vain. Elle souhaitait établir au 200, rue Richmond les activités d'un groupe d'entreprises appartenant à

M. Lévy. Le matin du 5 octobre 2010, selon le rapport, le maire Dauphin aurait appelé un fonctionnaire pour lui demander de s'occuper du projet de Mme Martell. Il a alors précisé qu'ils étaient des «amis personnels» et qu'un «traitement VIP était souhaité».

Selon le rapport du contrôleur général, «certains fonctionnaires ont allégué avoir subi une pression indue de la part du maire de l'arrondissement dans le traitement de ce dossier».

On relève notamment qu'une rencontre a été organisée à la demande du maire Dauphin, au cours de laquelle Mme Martell a pu présenter et défendre son projet. Les fonctionnaires, appuyés ensuite par les services juridiques de la Ville, ont maintenu leur refus d'accorder le changement d'usage.

Mme Martell a par la suite déposé trois demandes formelles sur une période de huit mois, et envoyé de nombreux courriels à l'attention du responsable du dossier. Malgré les refus répétés, «les demandes soumises étaient toutes relativement semblables» et ne répondaient pas aux précisions demandées par les fonctionnaires.

«Les principaux fonctionnaires impliqués au dossier ont indiqué qu'il s'agissait de la première fois de leur carrière que de multiples demandes pour un certificat d'occupation étaient soumises pour la même adresse», note le Service du contrôleur général.

Un fonctionnaire a notamment rapporté un échange verbal avec le maire Dauphin, qui lui aurait déclaré: «S'il faut changer le zonage, on va le changer. Il faut que l'administration me suive là-dedans ou sinon je vais me débarrasser de l'administration qu'on a.»

Fonctionnaires absous

D'autres fonctionnaires ont souligné que ce dossier devait être considéré «comme la priorité de l'arrondissement», à la demande du maire. Un employé a indiqué qu'il s'agissait du dossier sur lequel «on avait mis le plus d'insistance depuis son entrée en poste à Lachine». Le Service du contrôleur général se montre perplexe: «Nous ne sommes pas en mesure de saisir le raisonnement derrière la priorisation du dossier.»

La vérification ne visait pas directement le maire de l'arrondissement, puisque le contrôleur général n'a théoriquement pas le pouvoir d'enquêter sur les élus. Il s'agissait de s'assurer que les pressions exercées par le maire n'étaient pas justifiées par «le laxisme des fonctionnaires ou par leur méconnaissance des encadrements en vigueur».

Le rapport absout les fonctionnaires sur ce dernier point.

En ce qui concerne les pressions, on note d'emblée qu'«un comportement ou un échange verbal peut être interprété différemment d'une personne à l'autre».

Dans ce dossier, toutefois, «le contexte particulier des demandes répétées et l'accumulation des témoignages recueillis laissent peu de doute quant à l'existence d'une influence qui aurait été exercée, en vain, par le maire de l'arrondissement».

La Ville n'a pas voulu émettre de commentaires sur ce rapport confidentiel. La semaine dernière, la demande de Claude Dauphin pour le rendre public s'était butée à un refus de l'administration Tremblay, sur la base d'un avis juridique.