«Pour moi, un bon projet doit être fonctionnel, intermodal, un moteur économique... Mais un pont, c'est aussi souvent un symbole. Il ne faudrait surtout pas oublier sa poésie...»

L'architecte Gilles Saucier a lancé d'entrée de jeu la discussion sur ce sujet. Peu importe ce qu'on fera pour régler le problème, il faudra que le nouveau scénario nous enchante. Qu'il ne convainque pas uniquement notre cerveau et notre calculette, mais aussi un peu notre coeur.

Il faut qu'on ait envie de dire «wow!» devant ce nouveau pont, comme devant le viaduc de Millau signé par l'architecte britannique Sir Norman Foster. Ou devant le pont de vagues de Singapour (voir photo n°3 en page 5).

Le pont, tenait à dire le jury, ne peut pas être visuellement banal, quelconque. Il faut qu'il évoque quelque chose, qu'il nous touche.

«Il faut que ce soit un bel objet, un objet intéressant», note le designer industriel Louis-Philippe Pratte, qui parle d'une future «icône formelle».

Mais cela ne se résume pas aux simples qualités esthétiques de la construction. Le style doit être ancré, avoir de l'envergure, il faut aller chercher des racines historiques, culturelles, voire fonctionnelles, qui donnent un sens à la recherche formelle.

«Il faut que le pont soit un investissement qui reflète les valeurs profondes de Montréal, du Québec et du Canada, que ce soit une référence internationale qui montre qu'on s'est mis ensemble et qu'on a fait ça, et qu'on est une ville UNESCO de design», ajoute Gérald Tremblay. Idéalement, dit le maire, la structure serait éclairée dès la tombée de la nuit pour devenir une signature visuelle «allumée».

Claude Cormier parle, quant à lui, d'un geste architectural qui donne à la ville une nouvelle facette à son identité. Et il souligne qu'il espère aussi un nouveau nom vraiment rassembleur. «Le nom de la reine? Pas sûr de ça!»

Cela dit, aucun des membres du jury n'a été renversé par la «poésie» visuelle des projets proposés.

Certains travaux, toutefois, ont retenu leur attention.

Gilles Saucier, par exemple, a bien aimé que l'équipe formée par Charles Lopez et Jérémie Aubry (photo n°3) cherche à symboliser les ricochets sur l'eau avec une structure d'arcs croisés en enfilade. «Il y a de la poésie dans cette idée de l'enfant qui lance des roches», note l'architecte, appuyé par Claude Cormier. La directrice de l'École d'architecture souligne que c'est un des seuls projets où on a réfléchi à la question de l'éclairage de la structure. Le maire, lui, la trouvait trop semblable à celle du pont Victoria. «En beaucoup plus léger», ont tenu à préciser Anne Cormier et Gilles Saucier.

Le jury a aussi souligné la qualité du point de départ de la réflexion de l'équipe de Nathaniel Proulx Joanisse et Bernard-Félix Chénier (photo n°6 page6), qui s'est inspirée de La bonne renommée, l'un des bateaux de l'explorateur Samuel de Champlain.Les membres du jury ont toutefois estimé que la réflexion subséquente n'était pas allée assez loin. «Malheureusement, le rendu final ressemble un peu trop au pont sur la 25», a noté une des personnes autour de la table. «La poésie n'atteint pas son but», note Gilles Saucier. «Mais la source d'inspiration était vraiment intéressante. C'est un élément référentiel adéquat, ajoute Claude Cormier. Ils ont travaillé fort.»

Un des projets baptisés «Pont Champlain 3.0» (deux équipes ont choisi ce nom) a aussi allumé la discussion. On a salué la recherche formelle, la créativité de l'équipe formée par Nicholas Cauchon, Philippe Cottaz, Hans Donacin et Samuel Lozeau. Mais le résultat final a laissé Claude Cormier sur sa faim. Il craint que le tout finisse par se démoder. «Et c'est très obstrué», a noté le designer industriel Louis-Philippe Pratte, qui a préféré le projet «Les Champlains» de Christine Robitaille et Roxane Fortier (voir photo n°1 et 2) «Il y a de la grandeur, c'est majestueux. Il y a quelque chose de grandiose.»

Finalement, le maire Tremblay, lui, n'a pas détesté du tout l'idée de Léonard Flot (photo n°4) d'un pont avec une silhouette en M, comme Montréal. «Il y a un message, a lancé le maire. L'étudiant a fait un effort pour trouver une signature pour la métropole.»