Une étude commandée par le gouvernement fédéral en 2010 soulève la possibilité d'instaurer des péages non seulement sur le pont Champlain, mais aussi sur le pont Jacques-Cartier.

Chaque passage sur le vieux «Montreal Harbour Bridge» pourrait coûter entre 1,04 $ et 1,28 $ par voiture, selon le scénario retenu, indique l'étude obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Les tarifs seraient deux fois plus élevés pour les camions.

Le mois dernier, le ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités du Canada, Denis Lebel, a annoncé l'instauration de péages sur le nouveau pont qui remplacera le pont Champlain, d'ici 2021. La majorité des répondants à deux sondages subséquents s'y sont montrés favorables.

Un de ces sondages montrait toutefois que des milliers d'usagers actuels du pont Champlain pourraient se rabattre vers d'autres ponts pour éviter de payer la traversée du fleuve Saint-Laurent: 36% des automobilistes de la Rive-Sud feraient ce choix pour se rendre dans la métropole.

Cela risquerait d'encombrer le pont Jacques-Cartier. L'instauration de péages sur les deux ponts réduirait grandement la possibilité de tels déplacements de circulation. Mais dans l'étude obtenue par La Presse, la raison évoquée pour réinstaurer des péages sur le pont Jacques-Cartier est tout autre: les frais d'entretien de ce vieux pont atteindront la somme astronomique de 738 millions d'ici 2025.

Au cours de cette période, les revenus du péage sur le pont Jacques-Cartier pourraient permettre de récolter entre 736 et 905 millions, selon le scénario retenu. La décision de recourir à cette méthode de financement se buterait toutefois à un obstacle de taille: l'opposition de l'opinion publique.

Le rapport réalisé par la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) souligne en effet que les automobilistes peuvent accepter de payer leurs passages sur des ponts neufs, mais qu'ils rechignent à le faire sur de vieux ponts.

«Nos recherches suggèrent que l'opinion publique accepte les péages qui accompagnent le développement d'une nouvelle structure ou d'un nouveau service, notent les auteurs de l'étude. Les usagers n'aiment pas payer pour des services qui, jusqu'alors, n'étaient pas tarifés.»

Les auteurs notent d'ailleurs que leurs recherches ont permis de trouver très peu d'exemples de péages instaurés sur des routes et des ponts dont l'accès n'était pas déjà tarifé.

Étude discrète

En février dernier, La Presse avait révélé que le retour des péages était envisagé dans une note interne remise au ministre fédéral des Transports de l'époque, M. Chuck Strahl. La Société des ponts fédéraux avait alors affirmé qu'elle n'était pas au courant d'une étude en cours sur ce sujet.

Pourtant, c'est bel et bien cette société qui a commandé l'étude à PwC. «Nous comprenons que la Société des ponts fédéraux cherche à explorer des nouveaux modes de péage pour les ponts Champlain et Jacques-Cartier», indiquent les auteurs, en introduction à leur rapport.

Celui-ci a été rédigé un an avant la décision de remplacer le pont Champlain, en partenariat public-privé. Les auteurs envisageaient aussi deux scénarios de péages sur ce pont: entre 0,86$ et 1,15$ pour chaque passage de véhicule léger, et le double pour les camions. Les revenus varieraient de 992 millions à 1,3 milliard, en 15 ans.

Le rapport évaluait les coûts d'entretien et de réparation du pont Champlain à près de 1 milliard jusqu'en 2025. Il s'agit du pont le plus fréquenté au Canada, avec un trafic annuel de 60 millions de véhicules. Au pont Jacques-Cartier, le trafic annuel est de 35,8 millions de véhicules.

Il faudrait seulement trois mois pour installer des péages. Le rapport PWC soumet trois méthodes: des transpondeurs (fonctionnant par fréquences radio); des appareils photographiant les plaques d'immatriculation; ou de bons vieux guichets de perception manuelle.

Les péages ont longtemps existé sur les deux ponts, mais ils ont été abandonnés en 1962 sur le pont Jacques-Cartier et en 1990 sur le pont Champlain.

Lors de son inauguration en 1930, il fallait payer 15 cents pour traverser à pied le Montreal Harbour Bridge, qui fut rebaptisé Jacques-Cartier en 1934, pour souligner le 400e anniversaire du premier voyage du grand marin au pays.

En 1958, le tarif est de 25 cents par voiture, mais un scandale éclate: les percepteurs sont soupçonnés de mettre les pièces de monnaie dans leurs poches.

«La route la plus facile vers une Cadillac décapotable est de devenir péager au pont Jacques-Cartier», relate le livre Montréal, par ponts et traverses, publié par le musée Pointe-à-Callière. Après une commission royale d'enquête, 26 péagers ont été condamnés à des amendes ou même à la prison.

Au moins un percepteur de péage n'a jamais été soupçonné: un certain Robert Bourassa. Le futur premier ministre a en effet occupé ce poste quand il était étudiant, rappelle André Girard, porte-parole de la Société des ponts fédéraux.

«L'étude de PwC conclut que nous pourrions en effet compter sur des revenus intéressants en réinstaurant le péage, commente M. Girard. Mais l'étude souligne aussi ce que nous savions déjà: il serait très impopulaire de le réinstaurer sur le pont Jacques-Cartier. Les possibilités qu'on recoure à cette méthode de financement sont bien minces.»

- Avec la collaboration de William Leclerc